Panneau de l’exposition

Pendant près de trente ans, de 1945 à 1972, Ferney a vécu au rythme de l’abbé Boisson et de « ses » Marmousets, orphelins de la Maison Saint-Pierre, d’abord, apprentis du splendide Foyer bâti dans le haut du village, ensuite. « Marmousets… Joie… Un seul cœur ! », telle fut leur devise. Les Ferneysiens se souviennent encore des gamins défilant en uniforme dans les rues du village, des apprentis se rendant chaque jour à vélo jusqu’à Genève, et surtout des grandes fêtes qui, de 1952 à 1972, accueillirent chaque été les plus grandes vedettes de l’époque, des Compagnons de la Chanson à Gilbert Bécaud en passant par la Fanfare de la Garde Républicaine. Tout juste démobilisé, l’abbé Joseph Boisson arrive à Ferney en 1945. Il a vingt-six ans. L’orphelinat Saint-Pierre compte alors une cinquantaine d’enfants, déplacés par la guerre ou cabossés par la vie. Les quinze religieuses assurent leur présent ; l’abbé va leur donner un avenir. Au-delà de la scolarité obligatoire (14 ans), l’abbé veut que les jeunes Marmousets puissent continuer à vivre au sein de cette grande famille jusqu’à l’âge adulte, le temps d’acquérir un vrai métier. Pour cela, il faut bâtir une nouvelle maison. Ce sera le Foyer des Marmousets-Apprentis.

La Maison Saint-Pierre accueillait un « pensionnat de jeunes gens » depuis 1864. Les « Petites Sœurs de Jésus Franciscaines » s’y installèrent en 1883, rejointes en 1945 par l’abbé Boisson. C’est alors que la maison devint « Les Marmousets ». Les sœurs assuraient la vie quotidienne (cuisine, lingerie, dortoirs) et participaient à l’enseignement quotidien. La discipline était rigoureuse. Les tâches domestiques incombaient aux pensionnaires. L’enseignement religieux et le salut au drapeau étaient de rigueur. « Un uniforme gai et coloré qui chante la joie de vivre » (Abbé Joseph Boisson). Août 1950 : pause bienvenue lors des petits travaux matinaux. Fin des années trente, les enfants de l’orphelinat Saint-Pierre. Dans la cour de l’orphelinat, après 1945. Lever des couleurs en 1950. Les enfants de Saint-Pierre à l’arrivée de leur nouvel aumônier. Le petit oiseau va sortir…

Eloigner un enfant de sa famille est toujours difficile mais parfois nécessaire. Il est impossible de remplacer la famille mais on peut toujours essayer de créer un esprit de famille. Les Marmousets sont des gosses qui ont souffert, des gosses qui ont du cœur, de la fierté, et qui ont droit à la vie, comme les autres ! Ensemble, dans la joie, vers l’avenir… Brochure publiée en 1950 par l’abbé Boisson pour annoncer la construction du futur Foyer et susciter la générosité publique. Clichés du photographe genevois Max Kettel.

Printemps 1951 : arrivée de l’excavatrice de l’entreprise jurassienne Manzoni, responsable du chantier. Le jeudi, les Marmousets de Saint-Pierre se rendent sur les hauts de Ferney pour saluer l’avancée des travaux. Eté 1951 : dans l’angle est du bâtiment, les murs s’élèvent rapidement au-dessus de l’entrée du futur cinéma. La taille de la dalle montre bien les dimensions du bâtiment, qui sera pour l’époque le plus grand de Ferney. A gauche, les grandes baies de la salle de cinéma ; à droite, la cuisine et la salle à manger, prévue pour 50 convives. Automne 1951 : le TUB Citroën, l’abbé, les ouvriers et les Marmousets lors du déchargement des tuiles. Le Foyer se dessine : huit chambres par étage et, au rez-de-chaussée, des salles d’études, de jeux et de loisirs. Bientôt, les Marmousets-Apprentis s’installeront dans leur nouveau Foyer, leur nouvelle famille… L’abbé voulait une maison claire, largement ouverte au soleil, face au mont Blanc. Durant l’été 1951, un gigantesque trou commence à se remplir. Les murs s’élèvent. Finalement, la dernière tuile sera en place le 8 décembre 1951. Artisans et Marmousets se retrouveront, joyeux, à l’hôtel Bellevue pour arroser l’événement. « Du vin chaud pour mes gars ! » commande l’abbé ». Il faudra encore plusieurs mois pour terminer les aménagements, en attendant l’inauguration officielle prévue en août 1952.

Les apprentis Joseph Robin, apprenti menuisier chez Lucien Vannier à Ferney. Deux à quatre ans pour découvrir les outils et apprendre les bons gestes. Daniel Fayet, apprenti ferronnier chez Monsieur Zanoli à Ferney. Jean Lhomme et Daniel Forte, bientôt employé de bureau et typographe. Cravate siglée « M-A », chemise blanche et pantalon long, les apprentis en tenue de fête autour de Me Henri Meylan et de l’abbé Boisson. On note aussi la présence de Roger Perrot et de l’abbé Victor Gorlier. Pique-nique à Septmoncel en 1972. Autour de l’abbé, on distingue d’anciens apprentis retrouvant pour une journée de détente leur « patron » d’autrefois : Henri Fay, Raymond Devin, Alfred Raposo, Jean Vanoosten et Claude Juillard. Grâce au soutien des Ferneysiens et aux liens tissés avec la Suisse voisine, les Marmousets peuvent apprendre leur futur métier chez les artisans locaux et dans les entreprises genevoises, sans renoncer pour autant à la fraternité quotidienne et aux joies de leur grande famille, soudée autour de l’abbé Boisson. En tenue de travail, en habit du dimanche ou en short et chemisette, ils seront prêts à entrer en confiance dans le monde des adultes. Métier en poche, les voilà parés pour la vie.

Samedi 9 août 1952 : c’est le grand jour ! Sous la direction du Gessien Emile Monmège (1912-2011), les 80 instrumentistes, venus tout exprès de Paris, se produisent au pied du Foyer flambant neuf. Les festivités dureront trois jours. Sur le podium en plein air, l’abbé Boisson et le commandant Monmège consultent le programme. L’abbé Boisson reviendra devant ce même micro pendant 21 ans. Les autorités : Paul Vannier, maire-adjoint ; Marcel Anthonioz, député ; Auguste Millet (sous-préfecture). Vieilles Batteries de l’Epopée napoléonienne : « La Marche impériale ». Défilé au centre de Ferney. La Grand’rue n’a pas encore été percée pour le prolongement de l’avenue Voltaire. Devant le monument aux morts, l’abbé Boisson, les Marmousets et les musiciens de la Garde Républicaine. A Genève, la Garde Républicaine remonte la rue du Mont-Blanc en direction de la gare Cornavin. Les 9, 10 et 11 août 1952 se déroule l’inauguration du Foyer des Marmousets-Apprentis. Après un défilé dans les rues de Genève et de Ferney, la Fanfare d’Infanterie de la Garde Républicaine se produit devant plusieurs milliers de spectateurs enthousiastes. C’est un Gessien, Emile Monmège, ami de l’abbé, qui dirige les musiciens. Au programme, La Pie voleuse, L’Arlésienne, La Marche de la 2e D.B. En formation gymnique ou musicale, la Garde Républicaine se produira à cinq reprises lors des fêtes qui marqueront plus de vingt années de la vie ferneysienne.

19 et 20 juillet 1969 : Au firmament de sa gloire, Nana Mouskouri interprète Roses blanches de Corfou, L’enfant au tambour, Guantanamera, C’est bon la vie… Prix d’entrée : 6 francs. Jacques Brel, Sacha Distel, Marcel Amont, Enrico Macias, Gilbert Bécaud…. Traditionnellement, le spectacle débute avec le tour de chant des Marmousets. Dimanche après-midi, les stands animés par les Marmousets. 1961 : gymnastes de la Garde Républicaine. A droite au second plan, la maison Hécler reconstruite après l’incendie de 1956. Au fond, le Mont-Blanc, premier immeuble moderne au centre de Ferney. En 1972, Le Pays Gesssien annonce le spectacle de Bécaud et le départ de l’abbé. Le parterre et les tribunes : 3500 chaises alignées au cordeau. Quelques heures plus tard, la foule est au rendez-vous… Marcel Amont (1961), Joe Dassin (1970), Philippe Clay (1963), Gilbert Bécaud (1958). 16 juillet 1972 : pour la dernière fête avant son départ pour Bourg-en-Bresse, l’abbé remet à Gilbert Bécaud la poupée des Marmousets. Une page se tourne. De 1952 à 1972, la fête des Marmousets attira un large public venu de Ferney, du Pays de Gex, de Genève et de bien au-delà. Pour accueillir plus de 3500 personnes à chaque concert, la construction des gradins et du podium, l’installation du son et de la lumière, l’organisation des stands et la mise en place des infrastructures représentaient un énorme travail auquel Marmousets et Ferneysiens, artisans ou simples bénévoles, prêtaient largement main-forte. Le prix des places payait le cachet des artistes tandis que la tombola et les animations équilibraient le budget annuel du Foyer.

Adieu « Patron » L’abbé aux fourneaux, un plaisir pour le chef et ses clients. « Son sourire et sa bonté rayonnaient sur son visage. » (une religieuse). Un motard nommé Joseph Boisson, photo insolite et rare. Entre église, école et mairie, un petit square porte désormais son nom. Au premier étage du Foyer, l’abbé dans l’intimité du soir. Après la mort de l’abbé Boisson (5 juillet 1977), la presse relate ses funérailles à Bourg-en-Bresse et son inhumation à Ferney aux côtés de Lucien Canet, tué en Algérie en 1958. Le nom de Ferney-Voltaire restera attaché à celui des Marmousets. Je remercie toutes les religieuses qui ont été si bonnes pour moi, qui m’ont tant aidé dans mes pauvres actions. Je remercie toutes les personnes qui m’ont fait du bien pendant ma vie, spécialement tous les Marmousets et les membres de l’Association des Marmousets-Apprentis. Que tout se passe dans la paix et dans la joie. Extrait du testament de l’abbé Boisson

L’ORSAC a pris le relais pour accueillir des enfants et adolescents en difficulté. La maison des Marmousets aujourd’hui. Les anciens locaux ont été réhabilités tandis que de nouvelles activités ont vu le jour. Un immeuble d’habitation sera bientôt construit dans le parc. L’ancienne salle de cinéma accueille des cours de yoga et de danse urbaine. Sur le bâtiment principal, une plaque rappelle le rôle de l’abbé Boisson (1919-1977). Les Anciens Marmousets soutiennent des actions en Roumanie et ailleurs dans le monde. Au sous-sol, violon réalisé sur une imprimante 3D par l’association Pangloss. Demain, ce sont peut-être des robots humanoïdes qui verront le jour sous le toit des Marmousets (photo Gaël Langevin). L’avenir s’inspirera-t-il du passé ou lui tournera-t-il le dos ? Dans les pavillons construits au fil des ans, l’Orsac poursuit le soutien aux enfants et adolescents en difficulté. Alfa3a organise l’accueil social des adultes, « Ma P’tite Crèche » celui des tout-petits. Le cinéma abrite des activités associatives, culturelles ou sportives. Parallèlement, de nouveaux projets sont déjà en place, ouverts à l’innovation technique et scientifique. L’abbé Boisson y retrouverait-il son âme ou y perdrait-il son latin ?

Marmousets écoliers Henri Lévrier. 11 novembre 1958 : dirigés par l’abbé Boisson, les Marmousets chantent près du monument aux morts. René Fay. Jacques Vandekerkhove. Jacky Rendu. Bernard Reygrobellet. Gérard Pay. Petits et grands Marmousets à l’harmonica. Jean-Louis Labroche. Dans le bas de Ferney, un orphelinat catholique existait depuis le XIXe siècle. Des religieuses y assuraient le gîte, le couvert et l’enseignement. En 1945, l’arrivée de l’abbé Boisson donna un nouvel élan à ses pensionnaires : « Des calots tricolores, des blousons blancs à boutons rouges, du panache, de la joie et des chansons que les Marmousets portèrent un peu partout, dans les rues de Genève, dans les salles de concert de la région, à Radio-Genève, à la Télévision suisse. »

Marmousets apprentis Maurice Plasse. Années soixante, groupe des Marmousets apprentis et l’abbé Paul Moutton sur le perron du Foyer. Henri Raposo. Jean-François Pin. Bernard Dely, Jean Vanoosten, Hubert Conus, Maurice Plasse et Pierre Rossi. En 1955 avec l’abbé Joseph Boisson et l’abbé Victor Gorlier. André Tardeil. Jean-Paul Gagliardini. Les écoliers de la maison Saint-Pierre avaient un toit mais pas de réel avenir. C’est l’abbé Boisson qui, en imaginant et réalisant le Foyer de la rue de Gex, leur ouvrit, grâce à une nouvelle maison et à des perspectives d’apprentissage, le chemin vers leur vie d’adulte. Dès lors, ils constituèrent une véritable famille qui perdura bien au-delà de leur formation. Leurs liens de fraternité étaient indéfectibles et la disparition de plusieurs d’entre eux n’a pas effacé leur souvenir.

Sous les drapeaux Octobre 1937 : le soldat Joseph Boisson au 54e d’artillerie (La Part-Dieu, Lyon). Joannès Durantet à Rabat (Maroc) en 1956. Lucien Canet, tué en Algérie le 15 septembre 1958. Marc Bongiovanni, marin. Michel Peccard, parachutiste. Auguste Pegliasco, marin. Fernand Perrin, chasseur alpin. Raymond Colin, aviateur. Pierre Loyer, fantassin. Joseph Robin, chasseur alpin. A l’époque, le service militaire était obligatoire et ne constitua, jusqu’en 1956, qu’une simple parenthèse dans la vie des jeunes adultes. Avec la guerre d’Algérie, tout changea. La durée du service atteignit jusqu’à 30 mois, les jeunes appelés risquèrent leur vie dans les djebels. L’un des Marmousets fut tué, les autres passèrent de longs mois sous les drapeaux. Aucun n’en revint psychologiquement indemne mais cette épreuve renforça encore les liens qui s’étaient tissés durant les années d’apprentissage.

Anciens Marmousets Gérard Balland, serrurier. Juillet 1997 : retrouvailles des Anciens Marmousets pour le 20e anniversaire du décès de l’abbé Boisson. Robert Desperier, mécanicien tourneur. Jean Molière, instituteur. Gilbert Heffner, typographe. Emile Marguerat, mécanicien tourneur. Florent Scalet, ébéniste. Guy Sappey, employé de commerce. Jean-Claude Grosfilley, radio-électricien. Hubert Conus, mécanicien tourneur. Avant son départ, l’abbé Boisson avait incité « ses » Marmousets à se constituer en amicale afin de poursuivre l’œuvre de solidarité et d’entraide. « Elle peut faire beaucoup pour perpétuer notre nom, notre idéal et notre amitié ». Quarante-six ans plus tard, l’Amicale des Anciens Marmousets existe toujours. Elle a soutenu des actions humanitaires, au profit des enfants en Roumanie, au Rwanda, en Afghanistan, en Haïti, au Liban, au Mali, au Tchad, aux Philippines, au Cambodge, au Vietnam, en Ethiopie, en Inde et en France. Le nombre des Anciens Marmousets diminue mais leur action se poursuit.