1890-2028: Le tramway Genève – Ferney – Gex

Le trajet de Genève (place Chantepoulet) à Gex (place Gambetta).
Une composition à vapeur de la VE traverse Ferney par la Grand’ Rue et parvient au croisement avec la rue de Versoix visible à droite. L’image remonte à la dernière décennie du XIXe siècle. Carte postale: Collection Gilbert Ploujoux.

A la fin du XIXe siècle, une intéressante liaison par tramway est réalisée entre Genève et Gex. Il s’agit d’une ligne particulière à plusieurs égards. D’une part, sa longueur de 16,6 kilomètres est remarquable. D’autre part, elle se trouve à cheval sur une frontière nationale. Enfin, elle a connu divers modes de traction, voire simultanément sur un même tronçon.

Le prodigieux essor du tramway

Dans les années 1880, certains secteurs de l’agglomération genevoise sont déjà desservis par les lignes à voie normale de la Compagnie générale des tramways suisses. Le 27 septembre 1888, un groupe d’entrepreneurs fonde la Société genevoise de chemins de fer à voie étroite (VE) qui deviendra par la suite l’exploitant de la ligne Genève – Ferney – Gex.

A l’origine, l’itinéraire est envisagé par les quartiers de la Servette, du Grand­Pré, de Moillebeau puis par le Petit-Saconnex. Finalement, le tracé traverse le quartier de Montbrillant jusqu’à Varembé puis suit la route de Ferney. Les travaux sont lancés au début de janvier 1890. La route de Ferney ne mesure que 7,5 mètres de large, ce qui est insuffisant pour le passage du tramway. Elle doit être élargie à 12 mètres. La voie unique de 6440 mètres est posée du côté gauche des chaussées dans le sens Genève – Ferney et dispose de plusieurs évitements.

La ligne de Genève à Ferney

Les travaux achevés, le tramway peut entrer en exploitation le 15 mai 1890 entre Genève (place des XXII-Cantons)et Ferney. Au terminus des XXII-Cantons, une station en bois est bâtie entre la rue Necker et la rue des Terreaux-du-Temple. Le terminus de Ferney est situé dans la Grand’ rue, peu après le croisement avec l’ avenue  Voltaire. La manifestation officielle d’ inau guration se déroule à Ferney le 27 juillet 1890. La ligne n’est pas électrifiée. Elle est parcourue par des convois tractés au moyen de   locomotives à vapeur.

Le dépôt de la Tuilerie (Ferney) en 1890.

Un dépôt comptant quatre voies est construit au lieu-dit La Tuilerie situé à environ 700 mètres du terminus de Ferney. L’installation sera complétée par une plaque tournante en 1893 puis par un nouveau réservoir à eau en 1895.

L’ancienne douane du Grand-Saconnex en 1910.

En 1891, l’Administration des douanes suisses demande la création d’un hangar pour la visite des marchandises au poste-frontière du Grand-Saconnex.

A Ferney en 1928, un convoi à va­peur en provenance de Gex transfère deux wagonnets chargés de lait à la motrice électrique de la ligne 7 qui les amènera à Genève. Document Michel Dehanne.

A sa mise en service, la ligne de Ferney est couplée à celle de Vernier sur la place des XXII-Cantons. Trois locomotives sont prévues pour l’exploitation commune des axes de Ferney et de  Vernier.

L’extension de la ligne vers Gex

En 1896, des personnalités gessiennes fondent le Syndicat d’études du tramway de Ferney à Gex. Elles établissent un avant-projet ainsi qu’une convention d’exploitation avec la VE. Les autorités décrètent l’utilité publique du tramway le 4 mai 1899, permettant le lancement des travaux de construction. Les rails reposent sur des traverses en bois de chêne espacées de 80 cm et posées sur un lit de ballast de 30 cm d’épaisseur. Un dépôt comprenant deux voies est érigé au Martinet. La Société anonyme du tramway de Gex à Ferney (GF) est constituée le 5 janvier 1900 mais doit attendre le 15 juillet 1901 pour obtenir la concession du tramway accordée à l’origine aux promoteurs du projet.

Le 21 juillet 1900, la VE peut prolonger sa ligne sur 9540 mètres entre Ferney et le terminus provisoire à l’hôpital de Gex.

Titre de transport valable pour un trajet complet de Genève à Gex avec les compagnies GF et CGTE. Collection Gilbert Ploujoux.

L’horaire de l’été 1900 prévoit cinq courses quotidiennes assurant l’ensemble du trajet de Genève à Gex. Le voyage nécessite 110 minutes dans ce sens, respectivement 100 minutes dans le sens inverse, à la vitesse maximale de 25 km/h. A cette offre s’ajoutent neuf courses limitées à Ferney. En septe·m bre 1900, il est vendu 6080 titres de transport valables sur la section entre Ferney et Gex. Ceci permet de recueillir 5084,30 francs de recettes, transport des bagages inclus.

A noter que Gex accueille depuis le 1er juin 1899 une gare desservie par les trains de la Iigne Bellegarde – Divonne-les-Bains. Ce chemin de fer suit un axe perpendiculaire à celui du tramway.

La réalisation du dernier tronçon de tramway entre l’hôpital et la place Gambetta à Gex est retardée en raison de travaux d’établissement des égouts. Cette section de 319 mètres ne peut donc ouvrir à l’exploitation que le 19 novembre 1901. Toutefois, la rue des Terreaux, qui présente une importante déclivité, s’avère trop diffici l e à franchir et dangereuse pour les convois à vapeur. Ceux-ci doivent donc être limités à la place du Pont, soit 140 mètres environ avant le terminus.

Le tram à Gex en 1930.

Comme cet emplacement ne dispose d’aucun évitement, les trains arrivant à Gex doivent refouler jusqu’au Martinet où la locomotive peut changer d’extrémité du convoi et se ravitailler en eau et en charbon au dépôt. Toujours en refoulant, les trains rejoignent ensuite la place du Pont un quart d’heure avant leur départ en direction de Genève.

Durant l’été 1904, l’horaire de la ligne complète entre Genève et Gex prévoit six rotations quotidiennes du lundi au samedi et dix le dimanche.

Changement de propriétaire

Le 11 août 1899, la Compagnie genevoise des tramways électriques (CGTE) est constituée dans le but d’unifier et de développer les différents réseaux de tramway à Genève. Parallèlement, la VE se trouve en grandes difficultés financières. L’insuffisance de rendement de ses longues lignes ne lui a jamais permis de dégager les fonds nécessaires à leur modernisation, en particulier à leur électrification. Ce nouveau mode de traction aurait pourtant permis la réalisation d’importantes économies face aux coûts ruineux de la traction à vapeur. La CGTE rachète donc la VE pour 5 millions de francs et en prend possession le 1er janvier 1901.

La motrice Ce 2/2 111 (SWS Siemens 1908) traverse le centre du Grand-Saconnex au cours des années 1920. Collection Mémoire du Grand-Saconnex.

Le nouveau propriétaire s’empresse d’électrifier le réseau de la VE. Les travaux sont rondement menés et des motrices électriques flambant neuves dotées de bogies s’élancent sur la ligne Genève – Ferney dès le 15 mai 1902 à la cadence de 40 ou de 60 minutes.

A la douane du Grand-Saconnex se dresse l’imposant bâtiment de l’administration douanière. Au fond se trouve le hangar destiné aux visites douanières des marchandises acheminées par les tramways. Photo prise vers 1910.

Les courses directes conduisant de Genève à Gex restent assurées à la vapeur. Il en résulte une exploitation mixte à l’électricité et à la vapeur sur la même ligne. La société du GF sollicite aussitôt l’autorisation d’émettre des obligations pour financer l’électrification du tronçon Ferney — Gex. Mais la stupeur est grande en juillet 1902, lorsque le Conseil d’administration de la CGTE dénonce le contrat d’exploitation de ce tronçon qu’il juge sans intérêt. La société du GF abandonne aussitôt son projet d’électrification et consacre ses ressources à l’achat de matériel roulant d’occasion.

Coupure de ligne

En automne 1903, le GF est prêt à exploiter le tronçon Ferney — Gex au moyen de ses propres véhicules. A cet effet, la compagnie a dû procéder au cours de l’année à l’agrandissement du dépôt du Martinet avec l’installation d’un atelier, de chambres pour le personnel, d’un réservoir à eau et de hangars à charbon. Les véhicules acquis d’occasion sont les locomotives à vapeur rachetées au prix unitaire de 13000 francs à la compagnie Städtische Strassenbahn Bern (SSB). Le franc suisse est alors à parité avec le franc français jusqu’en 1915.

Dès le 1er octobre 1903, les voyageurs en transit doivent changer de convoi à Ferney. L’horaire prévoit quatre rotations quotidiennes entre Ferney et Gex en hiver et six en été avec des courses de renfort ponctuelles le dimanche. Lors de manifestations, des trains à vapeur de la CGTE continuent jusqu’en 1909 de circuler directement jusqu’à Gex. Les wagons chargés de bidons de lait sont, quant à eux, manœuvrés d’un convoi à l’autre à Ferney.

En 1907, la ligne de Genève à Ferney se voit attribuer le numéro 7 au sein du réseau de la CGTE. D’abord présente dans divers documents, cette désignation apparaît progressivement sur les véhicules entre 1911 et la fin de 1912.

La disparition du tramway entre Ferney et Gex

Le compte d’exploitation de la compagnie du tramway Ferney – Gex présente des résultats financiers équilibrés jusqu’en 1907 puis enregistre même de légers bénéfices au cours des six années suivantes. La CGTE s’intéresse donc, dès 1913, à entrer en négociation avec le GF pour la reprise de l’exploitation jusqu’à Gex, voire pour le rachat de la société. Ce projet est abandonné sept ans plus tard en raison du prix demandé par le GF ainsi  que de difficultés douanières et économiques liées à la suppression de la parité du taux de change.

En outre, les résultats d’exploitation de la section Ferney – Gex chutent dès l’éclatement de la Première Guerre mondiale. En août 1914, l’horaire ne prévoit plus que deux rotations quotidiennes les mercredis, samedis et dimanches uniquement. La voie inutilisée entre la place du Pont et la place Gambetta à Gex est supprimée en 1918. A l’issue de la guerre, l’horaire s’améliore et propose deux rotations quotidiennes en hiver, quatre en été et cinq les dimanches d’été. En revanche, la situation financière du GF se dégrade au point qu’il  menace de devoir suspendre tout trafic au 1er septembre 1920. Le Conseil général du département de l’Ain vole alors au secours du tramway et accepte son rachat. Le GF passe ainsi dans le giron de la Régie départementale des tramways de l’ Ain (RDTA} avec effet au 1er juin 1921.

Toutefois, face aux coûts, il est finalement décidé de confier provisoirement la desserte du tronçon Ferney – Gex à la Société des messageries et transports automobiles Monts-Jura basée à Besançon. Ainsi, des autocars remplacent les convois du tramway entre Ferney et Gex à partir du 15 juin 1932.

La disparition du tramway entre Genève et Ferney

La CGTE dispose de ressources insuffisantes pour faire face aux lourdes charges d’exploitat ion et d’ ent retien de son réseau de tramway particulièrement étendu. Dans ce contexte difficile, une réduction du réseau de la campagne devient inéluctable. Dans un premier temps dès 1930, les tramways de la ligne 7 ne se succèdent plus que toutes les 60 à 120 minutes entre Genève et Ferney, avec un temps de parcours de 34 minutes. Le trafic et les recettes déclinent ensuite durant la crise économique des années 1930. En 1937, l’acheminement du lait provenant de Ferney est confié à des transporteurs routiers.

Finalement, un service d’autobus baptisé F est instauré entre Genève et Ferney. Il remplace le tramway à partir du 1er février 1938, en offrant un temps de parcours réduit à 22 minutes. Le hangar douanier du Grand-Saconnex, qui a perdu son utilité, est fermé.

Seconde Guerre mondiale

Le Seconde Guerre mondiale éclate le 1er septembre 1939. La CGTE doit faire face aux difficultés rencontrées par la mobilisation d’une partie de son personnel, par la réquisition d’une majorité de ses autobus puis par diverses restrictions, en particulier sur les carburants et sur le caoutchouc des pneus. Ces mesures affectent particulièrement les autobus qui ne parviennent plus à assurer  l’ensemble des prestations prévues. Les infrastructures de l’ancienne ligne 7 n’ayant pas encore été démantelées, la CGTE peut y redéployer ses tramways. A partir du 3 juin 1941, le tramway est de retour sur la ligne 7 entre Chantepoulet et le Grand-Saconnex, jusqu’à l’actuelle place de Carantec. Les tramways ne peuvent en revanche plus rejoindre Ferney car la guerre impose la fermeture des frontières. L’exploitation perdure ainsi pendant près de cinq années. Finalement, le dernier tramway à se rendre au Grand-Saconnex circule au soir du 4 mai 1946, soit une année après la fin de la guerre.

Par la suite, les rails sont démontés, en priorité sur la partie française de la ligne.

Vers un retour partiel du tramway

La motrice Be 6/8 879 circule sur une courte section de l’avenue de France parcourue autrefois par la ligne 7, entre la boucle de la place des Nations et l’intersection avec la rue de Montbrillant. On projette désormais de prolonger la ligne depuis la boucle jusqu’au Grand-Saconnex, puis jusqu’à Ferney. Cette illustration date du 31 juillet 2015. Photo: Fabien Lisanin.

Depuis lors, le réseau des tramways genevois, jadis le plus vaste de Suisse, ne se résume plus qu’à une seule et unique ligne. Les difficultés de mobilité provoquées par la surcharge des routes incitent le monde politique et les citoyens à reconsidérer leur approche du trafic et, en particulier, la valeur accordée aux transports publics. Le tramway revient à la mode et les projets de lignes nouvelles fleurissent. Ce mode de transport, tant décrié au milieu du XXe siècle, fait un modeste retour dans le quartier de Cornavin à partir du 28 mai 1995. Ensuite, une nouvelle liaison par tramway reliant Cornavin à la place des Nations entre en exploitation le 14 décembre 2003.

La saturation du trafic individuel motorisé sur la route de Ferney nécessite la construction d’un tunnel routier creusé sous le Grand-Saconnex. A son ouverture prévue en 2022, la baisse de trafic attendue sur la route de Ferney permettra de lancer le chantier de reconstruction du tramway sur cet axe. A l’issue des travaux en 2024, le réseau ferré pourra être étendu de la place des Nations au pôle d’échange du parking P47 via le Grand-Saconnex. Le futur terminus se trouvera à 200 mètres du lieu-dit La Limite où passait la frontière nationale jusqu’en 1956. Une modification de son tracé avait alors été rendue nécessaire pour permettre I’allongement de la piste de l’aéroport.

Mais le tramway ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. Les études préliminaires visant à assurer son retour jusqu’à Ferney ont été menées en 2019 et en 2020. Les surfaces foncières sont d’ores et déjà réservées et les demandes de financement sont en préparation, notamment dans le cadre du fonds fédéral d’infrastructure pour le trafic d’agglomération. La réalisation de ce projet est espérée pour l’horizon 2028. A cette échéance, il se sera écoulé 140 ans depuis la pose des premières voies de tramway à Ferney.

Extraits de l’article de Jean-Philippe Coppex, publié en avril 2021 avec la contribution de Gilbert Ploujoux, Viviane Trillaux et Jean-Marc Waeger.

Avec adjonction de documents issus des archives de Ferney en Mémoire.

Revue Tram, avril 2021.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.