Août 1944: un document exceptionnel

CMC0014sAoût 1944. Voilà plus de deux mois que les Alliés ont débarqué en Normandie. La Résistance du Vercors rejoint les résistants savoyards et, le 10 août, Annecy est libéré. La bataille de Paris commence le 19 août et s’achève le 25. Au même moment, le Pays de Gex s’apprête à recouvrer, lui aussi, la liberté. Les FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) arrivent par le sud et franchissent le Rhône sur Pont Carnot, au pied du Fort-l’Ecluse. Dans le Pays de Gex sont déjà constitués trois groupes francs de l’A.S. (Armée secrète) : Gex, Divonne et Ferney.

L’un des membres de l’A.S., Raymond Chaffard, observe les événements avant de se joindre à la poursuite des troupes allemandes en déroute, qui abandonnent Ferney puis Gex (libéré le 21 août) et de franchir le Jura en direction de La Cure et des Rousses (libéré le 28 août). Avec lui, plusieurs Ferneysiens et Gessiens, parmi lesquels Pierre Grenier. Ils essuieront quelques coups de feu mais, surtout, pénétreront par accident sur le territoire suisse où ils seront arrêtés avant de pouvoir s’échapper, quelques heures plus tard, et rejoindre leur groupe devant La Cure. Rapidement, ils recevront ensuite l’ordre de regagner le Pays de Gex pour aller garder la frontière suisse.

Cette aventure, nous la connaissions dans ses grandes lignes pour l’avoir recueilli de la bouche de Pierre Grenier, ultime survivant de cette épopée. Sa mémoire est grande mais il n’avait pris aucune note. En revanche, Raymond Chaffard a dû rédiger, les jours suivants, un rapport pour ses chefs et c’est ce rapport qui vient de nous être transmis, 71 ans après les faits.

CMC0015s En voici la transcription intégrale :


A.S. de FERNEY-VOLTAIRE

RAPPORT DU CHEF CHAFFARD RAYMOND

sur les événements des 20 et 21 Août 1944

Le 20 au soir, en rentrant de montagne en ramenant les armes des groupes de Ferney, j’apprends que les Allemands font leurs préparatifs de départ. Ils ont rassemblé, devant leur cantonnement de l’Hôtel du « Capucin Gourmand », armes et bagages, et sont dans l’attente.

J’ai la nette impression que les événements vont se précipiter mais nous ne pouvons rien tenter encore, car nous savons que le boche est à Gex, et en force. Nous ne pouvons pas encore nous dévoiler, mais nous décidons de nous tenir prêts et de veiller à ce qui va se passer.

Je fais alerter les groupes et fixe un rendez-vous pour 23h au château de Voltaire où nous avons déposé les armes, dans les dépendances. Mon intention est de faire préparer l’armement, et de faire surveiller la frontière en attendant de pouvoir prendre liaison avec Gex et de recevoir les ordres du P.C.

Sortant de chez moi pour me rendre au rendez-vous fixé, je me heurte à une patrouille allemande, je l’évite mais 50 mètres plus loin une deuxième patrouille est dans la rue. En ce moment, j’ai la conviction que les préparatifs de départ des boches ne sont qu’une feinte pour nous pousser à nous démasquer. Bientôt une troisième patrouille, de deux hommes également, mais avec chien, vient se placer sur la place me coupant ainsi la retraite vers ma maison qui se trouve encerclée. Je suis obligé d’attendre le jour caché dans le foin. Vers le matin les patrouilles s’éloignent en direction de la Limite.

Peu après on vient m’informer que tous les douaniers ont passé la frontière. La nouvelle se propage rapidement et la foule se rue à la frontière. Une voiture allemande arrive en trombe mais repart aussitôt. D’accord avec le Maire de Ferney, je fais évacuer la foule à 100 mètres de la frontière et je place deux hommes non armés pour interdire l’approche.

Je fais alerter tous les hommes de l’A.S. et nous préparons les armes et munitions pendant la matinée. Je tente une liaison avec Gex, mais cette ville est cernée. J’apprends que toute la garnison du Pays de Gex est concentrée dans la ville. Les bruits les plus divers circulent aussi je prends une voiture et pars pour St Genis. Là je rencontre le chef LE TELLIER qui m’apprend que le Fort l’Ecluse est abandonné par les Allemands, en me remettant un pli du lieutenant Viala me donnant les ordres pour le 23. Nous nous consultons avec LE TELLIER sur ce qu’il y a lieu de faire. Malgré les insistances de civils je me refuse d’attaquer les boches. Une liaison revient du Fort l’Ecluse nous confirmant l’occupation de ce fort par la résistance de la Haute-Savoie, et nous transmet une offre du maquis savoyard de venir nous prêter main-forte à condition d’aller chercher la Compagnie au Pont Carnot. Immédiatement je fais partir des tracteurs et des camions pour les ramener à St Genis o`je fais préparer des cantonnements pour la Compagnie qui nous offre son concours. Avec LE TELLIER nous décidons de partir pour le Fort l’Ecluse. Là nous prendrons contact avec les Savoyards et LE TELLIER, conduit par Prodon, filera d’urgence au Crêt de Chalame rendre compte des événements et ramener le Lieutenant Viala pour prendre le commandement, car nous pensons que les Allemands quitteront Gex à la nuit seulement.

Au moment de quitter St Genis, une voiture conduite par PACCARD arrive de Gex et nous apprend que les boches sont partis en direction du Col de la Faucille. En même temps arrive de Collonges l’avant-garde d’une importante colonne de F.F.I.

Je me présente à mon chef, il me dit qu’ils partent à la poursuite des Allemands. Immédiatement LE TELLIER repart pour Gex et moi pour Ferney après avoir décidé de nous lancer nous aussi à la poursuite du boche.

Moins d’un quart d’heure après mon arrivée à Ferney nous repartons juste comme arrive une liaison de Gex me demandant de rejoindre cette ville. Nous arrivons peu après et rejoignons, sur la route de la Faucille, les groupes de Gex commandés par TARDY.

Arrivés au col nous attendons d’être regroupés et repartons en direction de La Cure précédés par le chef BUFFAZ, en moto. Avant le tournant de la mort on nous tire dessus avec des armes automatiques. Nous stoppons et je pars en reconnaissance, Près d’un kilomètre plus loin alors que je reviens en arrière je trouve DEVILLE de Gex qui comme moi s’est avancé en éclaireur. Nous revenons près de la colonne et je donne l’ordre de repartir. Les maions du « TABANIO » n’ont pas été incendiées comme celles de LA FAUCILLE, mais les habitants sont partis. Je pensais trouver auprès d’eux des renseignements. 400 mètres plus loin nous retrouvons le chef BUFFAZ qui a essuyé le feu des boches.

Nous repartons prudemment et bientôt sommes en vue des derniers éléments de la colonne allemande arrêtée à LA CURE. Nous stoppons et, suivis de GRENIER, je m’avance sur la droite entre la route et la frontière suisse dans le but de rechercher un emplacement favorable pour le F.M, et avoir des renseignements auprès de civils.

Apercevant un douanier suisse je l’appelle et il vient à ma rencontre. Il m’apprend que je me trouve alors sur le territoire suisse, ainsi que GRENIER qui est resté à l’arrière, et nous invite à la suivre au poste, Malgré mes protestations il persiste dans son attitude, tout en reconnaissant qu’absolument rien, à cet endroit ne délimite le territoire suisse et le territoire français.

Nous le suivons donc au poste où l’on nous enferme pendant près de trois heures en attendant de nous interner. Grâce à la complicité d’un gardien nous parvenons à nous évader et à environ 24 heures rejoignons nos camarades au poste de douane de LA CURE. Là, je me présente au lieutenant LEBLANC qui a pris le commandement des opérations et nommé le sergent VANNIER pour me remplacer.

A 1 heure, le lieutenant me charge d’amener à Gex un de mes sous-officiers pour demander du renfort. Je dois à mon retour rapporter du ravitaillement pour les groupes de Ferney qui sont installés sur les positions. J’exécute ma mission. Au retour en passant à GEX je retouve le lieutenant Viala qui me donne l’ordre de replier mes groupes sur Ferney et d’occuper la frontière, ce que nous faisons immédiatement puisque peu après Gex je rencontre nos groupes qui ont déjà reçu l’ordre de repli.

Je joins à mon rapport celui du sergent VANNIER sur les événements qui se sont déroulés pendant mon absence.

Ferney-Voltaire le 24 août 1944.


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