Marmousets

Les Marmousets racontés par l’abbé Boisson

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Les Marmousets-Ecoliers

En avril 1945, à la suite d’un accident de santé, j’avais été nommé aumônier de l’Orphelinat Saint-Pierre. Le recrutement de la maison était déjà en pleine évolution. Parmi les cinquante garçons que comptait l’établissement, on trouvait des orphelins, on trouvait aussi des enfants cas sociaux. Pendant la Guerre de 1939-1945, un grand nombre d’enfants réfugiés y furent hébergés. A mon arrivée, le 11 avril 1945, il y avait encore plusieurs de ceux que nous appelions familièrement « les gars du Nord ».

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On me demande souvent comment j’ai été amené à choisir ce nom: «Les Marmousets». Le plus simplement du monde. Voyez plutôt. Quelques jours après mon arrivée, j’écoutais avec les garçons une émission de Radio-Lausanne. L’attention était vive, car ce soir-là, le speaker annonçait les résultats d’un concours de dessins auquel plusieurs enfants de la maison avaient pris part. Michel Orsini avait obtenu un prix. Le speaker le présenta ainsi: « Un marmouset de Ferney-Voltaire … ». Je trouvais le mot plaisant, plus agréable à porter que celui d’ «orphelin». Je le saisis au bond et demandai aux enfants qui m’entouraient s’ils aimeraient s’appeler «Les Marmousets». Us acceptèrent avec enthousiasme. Dans la langue familière des cantons de Genève et de Lausanne, ce mot veut dire « petit garçon », il s’apparente à nos expressions régionales le «gars», le «gône», le « gosse ».

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Ce fut le début d’une belle histoire. Des calots tricolores, des blousons blancs à boutons rouges, du panache, de la joie. Et des chansons que les Marmousets portèrent un peu partout, dans les rues de Genève, dans les salles de concert de la région, à Radio-Genève, à la Télévision suisse. Des mélodies simples qui plaisaient parce qu’elles étaient lancées par des voix fraîches accompagnées d’un brin de rythme: un tambour, des varinettes, des cymbales, des castagnettes…

Mais il en est des chansons comme des années: elles passent, elles se fanent. Ces mêmes gars en culottes courtes, petits «baladins» insouciants et joyeux, comme aurait dit Gilbert Bécaud, se retrouvèrent un jour au seuil de l’adolescence. On dit parfois qu’il y a de l’arrogance dans les yeux de l’adolescent. J’y vois plutôt un effroi devant l’incertitude de l’avenir, une interrogation devant des questions qui sont de vraies questions: le métier, l’amour, la famille, la connaissance de la vie, le choix d’une route qu’il faudra se frayer chaque jour à travers mille difficultés…

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Les Marmousets-Apprentis

C’est alors qu’a germé dans mon coeur et dans le coeur de quelques gars, le rêve d’un Foyer. Les religieuses, qui ne pouvaient pas garder les enfants au-delà de treize ans partageaient ce projet. Pour la plupart des Marmousets, à treize ans rien n’était résolu du côté de leur famille, ils avaient besoin de préparer leur avenir, ils avaient besoin d’un cadre familial, d’une ambiance, d’un soutien.

En octobre 1949, je m’installais avec Michel, Henri, André, Daniel, dans les trois pièces que nous avions louées, rue de Genève, à deux pas de la Maison Saint-Pierre. Avec une audace qui frisait le défi, nous avions écrit sur la porte d’entrée: «Foyer des Marmousets-Apprentis».

Une association légale était constituée. Voici le nom des membres fondateurs: A. Riser, président; Abbé Joseph Boisson, vice-président; H. Meylan, secrétaire; M. Perret, trésorier; Dr R. Drain; Ed. Malavallon. A Genève, la grande ville voisine, l’Ecole du Grütli acceptait de prendre nos gars. Le Service des apprentissages, à la demande de Monsieur Pugin, conseiller de 1’Etat de Genève, consentait à nous favoriser l’accès des entreprises et mettait un inspecteur, Monsieur Charles Lécuyer, à notre disposition. L’aventure commençait…

En septembre 1950, la «Petite Maison», rue de Gex, accueillait dix-sept garçons. L’évolution du recrutement, amorcée pendant les années de guerre, s’orientait de plus en plus vers les cas sociaux, c’est-à-dire vers des enfants dont les familles connaissent des difficultés très diverses. Dans le dépliant écrit en 1950 pour annoncer la construction du Foyer et susciter des générosités, voici comment je présentais les Marmousets:

Les Marmousets sont des garçons séparés momentanément ou définitivement de leurs familles, pour des raisons graves.

Voici quelques cas parmi ceux que l’on peut révéler:

Jean et André n’ont plus de maman. Elle est morte alors qu’ils avaient, l’un trois ans, l’autre sept ans. Le papa, à la suite d’un accident qui le maintient à l’hôpital depuis des années, a perdu la situation qu’il avait acquise par son travail et qui était brillante. On a dû éloigner les enfants. Jean et André sont devenus Marmousets.

Paul. Famille nombreuse. Douze enfants. Le père et la mère sont partis chacun de leur côté sans laisser d’adresse. Les enfants ont été dispersés un peu partout. Paul est devenu Marmouset.

Georges. La maman est au sana. Le père travaille en dehors de la maison pour nourrir les cinq enfants. Personne pour faire la cuisine ni pour surveiller les enfants en dehors des heures de classe. Georges est devenu Marmouset.

Albert. Ni père, ni mère connus. Abandonné. Jusqu’à neuf ans, dans un hôpital pour une paralysie infantile qui lui a laissé une jambe atrophiée. Albert est devenu Marmouset.

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A ces Marmousets écoliers devenus Marmousets apprentis, il fallait une maison, une grande maison. Commencée au printemps 1951, la construction du Foyer s’achevait au cours de l’été 1952 et l’inauguration avait lieu le dimanche 9 août 1952 au milieu d’une foule considérable, avec la participation de la Garde Républicaine de Paris.

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On trouvait désormais en permanence dans cette demeure accueillante une trentaine de jeunes gens, de quatorze à vingt ans, collégiens, apprentis, jeunes travailleurs. Les religieuses continuaient de servir, dans les deux maisons, avec ce même dévouement auquel Monsieur l’Abbé Richard rendait hommage dans sa plaquette sur l’Orphelinat Saint-Pierre. A défaut de pouvoir citer le nom de toutes ces religieuses, dont les Marmousets gardent le meilleur souvenir, il me plaît de rappeler ici le nom des supérieures qui se sont succédé à la tête de la communauté depuis 1945: Mère Marie-Nelly, Mère Antonia, Mère Mélanie, Mère Marie-Ange, Mère Marie-Eymard, Mère Augustin, Mère Marie-Henriette.

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La façade principale du Foyer, tournée vers le soleil, symbolisait le style de vie des Marmousets apprentis, une vie ouverte, mêlée à toutes les activités professionnelles, sportives, culturelles, de la cité.

Nous avons aimé la population ferneysienne et plus largement toute la population du Pays de Gex. Cette amitié était réciproque. Elle culminait, chaque été, dans un événement qui était pour beaucoup l’événement de l’année: «La Fête des Marmousets». Tous, y compris nos voisins de Genève, l’attendaient avec bonheur. Combien de milliers de personnes sont venues fidèlement à ces manifestations pour retrouver les Marmousets et pour applaudir les grandes vedettes du moment: Les Compagnons de la Chanson, Gilbert Bécaud, Jacques Brel, Marcel Amont, Philippe Clay, Pétula Clark, Enrico Macias, Hugues Aufray, Nana Mouskouri, Joe Dassin, Adamo, Les Trois Ménestrels, et bien d’autres…

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L’abbé Boisson et Gilbert Bécaud en 1972, lors de la dernière kermesse.

Vingt et un ans… C’est le délai qu’il faut pour conduire un enfant du berceau à l’âge adulte. C’était l’âge du Foyer quand l’Association ORSAC (traduisez: Organisation Santé, Accueil) a bien voulu accepter de le prendre en charge, ainsi que la Maison Saint-Pierre, le 1er juillet 1972.

Quel sera désormais le destin des Marmousets de Ferney? L’historique sommaire que nous venons de tracer indique le chemin parcouru. Il n’entend pas peser sur le présent, encore moins sur l’avenir de l’Oeuvre. La vraie fidélité n’est jamais une crispation sur le passé. Il aura toujours des besoins sociaux. il y aura toujours des jeunes – et des moins jeunes – aux prises avec les difficultés de l’existence. Les responsables actuels – Monsieur Lucien Grouès, président, Monsieur Jean Lorain, vice-président, et les membres de l’Association ORSAC – se sont donné pour mission d’être attentifs à la vie, ils n’ont qu’un seul souci: servir, le plus efficacement, le plus humainement possible.

Pour eux, comme pour tous ceux qui croient et qui veulent, le temps présent, si dur soit-il, sera toujours le temps de l’espérance.

Joseph BOISSON, 1975


 

Le texte ci-dessus est extrait du livre « L’Abbé Joseph Boisson / Les Marmousets » édité en 1982 par l’Amicale des Anciens Marmousets et toujours disponible auprès de son président, Gilbert Heffner ( 04 50 40 13 68 / gilbert.heffner@free.fr )


 

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