Les frères Masson se sont levés avant le jour. Un grand bol de café noir dans la cuisine aux murs sans âge, où s’entassent, sculptures modernes, les casseroles et reliefs de repas hâtivement pris. Puis l’aîné des deux vieux garçons s’est dirigé vers l’étable – la traite, ça n’attend pas – tandis que le puîné, tout de bleu grisaille, s’engouffrait dans la voiture qui, lui permettrait après un chemin de quelques lieues de rejoindre la « machine ».
L’alambic est là. L’homme dispose savamment des brindilles dans le foyer glacé, les recouvre d’éclats de planches. L’allumette craque et, dans quelques minutes, une première briquette de poudre de charbon compressé viendra prendre place dans le lit de flammes. Le jour se déploie sur les toits du village, les paysans apportent leur lait à la fruitière voisine, le premier client de l’alambic est arrivé avec, à l’arrière de sa camionnette, trois tonneaux aux douves noircies; la cérémonie va pouvoir commencer.
L’aiguille grimpe sur le manomètre à vapeur. Les deux frères sont maintenant réunis autour de l’étrange engin et hissent le premier tonneau au-dessus du cuivre, cerclé de lamelles de bois, de la première des trois cuves. Dans dix minutes, à l’autre bout du colimaçon, les premières gouttes d’eau-de-vie perleront au-dessus d’un seau séculaire ayant vu passer, depuis l’aube de son existence, de quoi soûler toute la population, de quoi tuer les plus faibles et affoler les plus durs. Puis l’eau de feu passera dans une discrète bonbonne tandis que, sous la machine, s’écoulera en vomissures le reliquat de la distillation, magma troué de noyaux intacts pour la prune, soupe fumante et âcre pour la pomme, omelette noirâtre pour la gentiane. Au suivant !
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