Chenu, Jeannot et Micheline

Ah, les Grillades de Jeannot et Micheline ! Qu’aurait été Ferney sans les Grillades, sans Jeannot et sans Micheline ?

Le restaurant de la Tour Eiffel

Ils nous étaient tombés du ciel, vraiment. D’eux, nous ne savions pas grand-chose, nous n’avons jamais su grand-chose, sinon que Jeannot avait été maître d’hôtel au restaurant de la Tour Eiffel. Comment avaient-ils atterri à Ferney ? Mystère. Leur fils Jean-Michel pourra peut-être un jour éclairer notre lanterne.

Edouard Malavallon, agriculteur et mécanicien, devant le Café des Sports

A l’angle de la rue de Genève et de celle de Meyrin, face à la fontaine, ils avaient racheté le Café des Sports de Madame Gerlier, plus connue sous le surnom de « La Bidulette » du fait de son lien avec Bidule, l’inénarrable garagiste du quartier de La Limite. En quelques semaines, les Grillades étaient devenues le rendez-vous du Tout-Ferney… et de bien au-delà.

Il faut dire que l’époque était faste. Nous étions au cœur des Trente-Glorieuses, l’argent était facile, les Gessiens trouvaient de plus en plus facilement un travail à Genève ou au CERN et, avant de rentrer au bercail, faisaient tous ou presque étape aux Grillades.

Micheline, blonde et avenante, tenait le bar et s’enquérait des goûts de ses clients, écoutait leurs joies et leurs chagrins. La mominette tenait alors le haut du pavé, talonnée de près par le « kir » cher au chanoine du même nom, une rasade de crème de cassis et une belle dose de sauvignon blanc. Sur le bar, il y avait toujours quelques assiettes de kémia, spécialité nord-africaine faite d’olives, de cacahuètes et d’anchois, salés et pimentés à souhait, histoire de ranimer la soif. Le souvenir de l’Algérie était encore très présente, dans la mémoire des jeunes soldats qui en étaient revenus et dans le parler de ceux, plus âgés, qui avaient dû la quitter.

Micheline connaissait chacun par son prénom, transmettait les messages et buvait les petits secrets sans jamais les dévoiler à quiconque.

Jeannot, plus discret, moins expansif, était aux fourneaux et tenait la boutique en préparant les premiers repas du soir.

A l’époque, Bernie Cornfeld venait d’installer les bureaux d’IOS à Ferney. Une noria d’émouvantes secrétaires et presque autant de jeunes commerciaux déferlaient sur la ville dès la nuit tombante. Aux Grillades, on ne parla bientôt plus qu’anglais. Jeannot et Micheline se mirent aux langues étrangères. Les jeunes Ferneysiens aussi, trop désireux de pouvoir engager la conversation avec des midinettes venues d’au-delà des mers. Par beau temps. La terrasse ne désemplissait pas et, à la première averse, la minuscule salle de restaurant se transformait en agora bruyante, espiègle et chaleureuse.

En 1971, pour la première élection de Pascal Meylan à la Mairie de Ferney, Jeannot et Micheline invitèrent tous les membres du nouveau conseil municipal, à quelque liste qu’ils aient appartenu. D’où cet écho « sous l’oeil du Patriarche ».

La carte était assez simple : steak tartare et succulentes pommes frites, onglet à l’échalotte, escargots, moules gratinées et, à la saison fraîche, huîtres de Normandie. On passait plus de temps au bar, pour l’apéro d’abord et le pousse-café ensuite, qu’à table où les clients étaient serrés comme des sardines parisiennes.

Souvent, la fête se poursuivait jusqu’assez tard dans la nuit et bien au-delà du bistrot proprement dit. La fontaine accueillait des grappes humaines, les plus audacieux se hissant jusqu’au buste de Voltaire pour le gratifier d’un baiser fraternel.

Pour les clients, la vie était joyeuse et facile. Pour Jeannot et Micheline, le travail ne s’arrêtait jamais.

Pour la nouvelle année, il était de tradition d’offrir un petit cadeau à chacu. Ici, un coupe-pappier aux armes je Jeannot et Micheline.

Peu à peu, leur empire déborda des simples grillades. Jeannot et Micheline installèrent une laverie à deux pas du bistrot puis reprirent le commerce de vin et de cafés du célèbre Monsieur Desbiolles. Il y eut ensuite le Bret’s Bar, avenue Voltaire puis, en été, le restaurant du champ de courses à Divonne. Comment Jeannot et Micheline pouvaient-ils mener tout ça à quatre mains ? Jamais en tout cas ni l’un ni l’autre ne donna de signes de fatigue ou d’énervement. Jusqu’au jour où, la maladie pointant le bout de son nez, Jeannot décida de remettre ses affaires et de prendre un repos bien mérité mais hélas écourté.

Micheline resta ferneysienne. Bien plus tard, elle épousa Virgile Rosa, omniprésent personnage de la vie locale. Entrepreneur de travaux publics, Virgile était expansif, bambocheur, rigolard et aussi, sans doute, profondément tendre. Lui aussi devait quitter la scène avant Micheline qui, seule, continuait encore parfois à arpenter en toute discrétion les rues de « son » Ferney.

A son tour, elle vient de rejoindre, en novembre 2020, Jeannot et Virgile. Son fils Jean-Michel est désormais le dernier dépositaire de cette belle épopée ferneysienne. Nous pensons à lui dans ces moments difficiles.

A.D.

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