Cogne: Une histoire de Noël…

Par Stéphane Fréchin, 2015

« Les gens ne meurent vraiment que lorsqu’on cesse de penser à eux »

A ceux qui nous ont précédés,
A ceux qui nous suivront.

Ce récit n’a aucune prétention littéraire mais je souhaitais partager au mieux le résultat de mes recherches, qui sont toujours en cours. J’espère pouvoir encore compléter ce document au gré de mon avancée.
La généalogie n’est pas qu’une succession de noms et de dates, c’est aussi la recherche de la mémoire d’une famille et la mise en ordre des pièces d’un puzzle historique.

Les pages qui suivent sont aussi pour moi une façon de remercier ceux qui m’ont aidé de près ou de loin, en me racontant des histoires ou en partageant des documents.

Première partie: De l’origine des Cogne


Lorsque j’ai entamé mes recherches en 1989, je me suis intéressé à l’origine de la famille Cogne. J’ai donc posé des questions autour de moi et les réponses étaient toujours les mêmes : nous sortions du val de Cogne en Italie, dans la Vallée d’Aoste, qui était, à n’en pas douter, le lieu d’origine de la famille. Mes grands-parents, tout comme d’autres cousins, s’y étaient même rendus… Cette théorie se trouvait être largement répandue puisque des Cogne retrouvés en Saône-et-Loire m’en ont parlé également. Et pourtant.

Mes recherches portant sur les Cogne amorcées à Chevry m’ont rapidement transporté tout près de là, à Vers, petite commune proche de Valleiry. Une étape avant l’Italie ?

« Située depuis toujours à la croisée des chemins, la commune de Vers tiendrait son nom d’un citoyen romain, Vernus, dont la vaste villa était construite au lieudit «Bracosson», à proximité de la voie romaine reliant à l’époque Genève à Condate (Seyssel). Aujourd’hui, cette paisible commune rurale de 591 hectares offre à ses 683 habitants répartis dans les villages de Vers, Maison-Neuve et Bellossy, un environnement préservé situé à quelques kilomètres de bourgs et de villes (Valleiry, Viry, Saint-Julien-en-Genevois, Genève) proposant un large choix de commerces et de services.

La paroisse de Vers est ancienne, elle est déjà évoquée en 1259 dans un document des Chartreux de Pomier. L’église actuelle, dédiée à Notre Dame de la Nativité, a été construite en deux temps. Le clocher, de style néoclassique, a été érigé en 1840, alors que Vers était une commune du royaume de Piémont-Sardaigne. Trente ans plus tard, c’est au cœur de la République française (depuis 1860) que l’église de style néogothique est bâtie contre le clocher en 1870.

Deux siècles et demi plus tôt, en septembre 1600, il est à peu près certain que le roi de France Henri IV a traversé la commune de Vers pour rejoindre la maison forte du village voisin de l’Eluiset. Venu de Chambéry par la route qui passait notamment à Rumilly et à Sallenôves, le souverain était présent dans la région pour suivre en personne le siège que son armée tenait devant le fort Sainte-Catherine. Cet édifice avait été construit par le duc de Savoie Charles-Emmanuel 1er à Songy (commune de Viry) pour montrer sa puissance et préparer une nouvelle attaque contre la ville du bout du lac.

Au début des années 1800, l’Etat napoléonien fait construire une nouvelle route reliant Viry à Frangy, dont l’itinéraire passe en contrebas de l’ancienne voie entre l’Eluiset et Jonzier traversant la commune (Via Romana et route de Chez Jeantet). La famille Falconnet, qui avait choisi dans un premier temps un terrain situé près de cette ancienne route, change d’avis et fait bâtir sa maison en bordure de la toute nouvelle route. Cette demeure, qui resta pendant des années la seule à cet endroit, fut appelée « la maison neuve » et donna donc naissance au hameau de Maison Neuve. Elle était probablement située dans le pâté de maisons qui occupe actuellement les n° 192 et 196 de la route de Frangy.
Comme de nombreuses autres bourgades de la région, d’importants incendies ont presque entièrement ravagé au XIXeme siècle les villages de Vers (1832, 1858) et de Bellossy (1856), dont le nom vient des bellosses, ces fruits âpres donnés par les prunelliers.

Durant la seconde guerre mondiale, le curé du village, Claudius Fournier, avec le soutien de plusieurs habitants de la commune, a aidé de nombreux réfugiés juifs à rejoindre la Suisse voisine. A ce titre, il a reçu à titre posthume en 1993 la médaille des Justes de l’Etat d’Israël. Après le conflit, il a fait construire sur les hauteurs de Vers une chapelle pour remercier la Vierge Marie d’avoir protégé la commune durant la guerre. Cette chapelle offrant un superbe panorama sur la plaine du Genevois est chaque année au mois d’août l’objet d’un important pèlerinage.

Comme la plupart des communes du secteur, Vers a connu durant le XIXeme siècle et la première partie du XXeme siècle un lent exode rural. Si la commune comptait 359 habitants avant la première guerre mondiale, elle n’en recensera plus que 265 en 1962, avant que l’attrait économique de Genève ne génère une nouvelle émigration qui permettra à Vers de voir sa population plus que doubler en moins d’une cinquantaine d’années (635 habitants en 2010).

Parmi les réalisations récentes de cette commune, on peut relever la création d’une auberge communale, d’une bibliothèque, d’une cantine-garderie périscolaire et la sécurisation du village de Maison Neuve, traversé par une route à forte circulation.
Si la plupart des habitants travaillent à l’extérieur de la commune, Vers abrite néanmoins plusieurs exploitations agricoles et de nombreux artisans. Adepte d’un tourisme « doux », la commune propose aux promeneurs plusieurs itinéraires de randonnées balisés par le syndicat intercommunal d’aménagement du Vuache, ainsi qu’une auberge communale, l’Auberge de La Fruitière, dont la carte fait le bonheur des gourmets de la région.

Sans oublier le mythique chemin de Saint-Jacques de Compostelle qui passe sur les hauts de Vers et qui a fait rêver plus d’un randonneur ! La commune possède aussi quelques richesses architecturales telles que son église de style néogothique avec son clocher à bulbe plutôt rare dans le Pays du Vuache, ou sa chapelle, dédiée à Notre Dame des voyageurs. Le promontoire situé au-dessus de cette chapelle offre en outre un somptueux panorama sur les massifs environnants, la plaine, Genève et le lac Léman. »
Site de la mairie de Vers : www.vers74.fr

Le plus ancien des Cogne dont j’ai pu retrouver la trace est Marin, né audit Vers au début des années 1600. Mais le recensement des feux (foyers) de 1561 mentionne déjà le nom de Cogne à Bellossy, hameau de Vers. Mieux encore : en février 2012, j’ai rencontré Gaston Cogne, un cousin de mon arrière-grand-père Théodore. Agé de 87 ans, mais bon pied bon œil, il m’a indiqué que les Cogne sont déjà cités en 1423 dans un document retrouvé chez le Comte de Viry. Et, finalement, on apprend que « les deux plus anciennes familles de la commune de Vers sont les Villet (Villiet) et les Cogne, dont les noms apparaissent déjà sur certains registres au XIIIème siècle » Histoire de la commune de Vers, La Salévienne, 2012, page 70.

Au vu de ce qui précède, nous pouvons douter que le souvenir d’une origine italienne remonte avant les années 1200, la transmission orale n’ayant raisonnablement pas pu traverser les siècles. Notre famille Cogne est donc bien d’origine locale.

Arrivederci Italia !

On peut alors éventuellement tenter d’expliquer cette croyance en une ascendance italienne par le fait que la Savoie faisait partie, jusqu’en 1860, du royaume de Piémont-Sardaigne, lui-même à l’origine du royaume d’Italie. Contrairement à ce qui est affirmé parfois, la Savoie n’a jamais été italienne, mais simplement une région d’un pays aujourd’hui disparu. Le raccourci entre le patronyme Cogne et la vallée du même nom semblait évident et fournissait ainsi une explication au patronyme.

Les descendants de Marin sont à l’origine de plusieurs branches de l’arbre, suite à des mariages consanguins. Ceux-ci ont un côté ‘pratique’, ils diminuent ainsi le nombre d’ancêtres à retrouver en rétrécissant la cime de l’arbre généalogique, un individu apparaissant alors plusieurs fois…

Son fils Etienne est mort au début des années 1700 et nous pouvons voir son testament daté du 15 mars 1700 ci-après (transcription en fin de volume). Il existe par ailleurs beaucoup de documents notariaux concernant notre famille Cogne conservés aux Archives Cantonales de Genève, tels que testaments, inventaires après décès, contrats dotaux, etc.

Les mariages consanguins évoqués plus haut sont choses relativement courantes à l’époque et on en trouve dans toutes les régions. Jusqu’au 4eme degré, afin de pouvoir se faire, le mariage exige d’obtenir une dispense, payante, de l’évêque ou du pape selon le degré de parenté, sur requête des familles. Ces dernières, devant prouver les liens qui unissent les futurs époux, établissent une généalogie sommaire de la famille jusqu’à l’ancêtre commun. Malheureusement, il est très rare de retrouver ce document qui permettrait pourtant de compléter les recherches rapidement.

Exemple de calcul de degrés de parenté

Mariage de Pierre Cogne et Ignace Cogne, 13 juin 1775

Les mappes sardes, comme celle ci-dessus, sont les ancêtres du cadastre. Elles ont été réalisées entre 1728 et 1738 à la demande de Victor-Emmanuel II, roi de Piémont-Sardaigne. On peut ainsi localiser les biens immobiliers possédés par une famille.

Les plans de toutes les époques sont très utiles pour retracer l’évolution de patrimoine d’une famille, comme on le verra plus loin.


Durant tous les XVIIIeme et XIXeme siècles, la famille Cogne prospère. Nos ancêtres se marient avec des gens de la région, issus de familles de Vers ou des villages environnants (Cercier, Menthonnex-en-Bornes, etc.) et certains occupent différentes fonctions au sein de la communauté versoise, comme exacteur (chargé de collecter les impôts et redevances), syndic (mandataire, représentant d’une autorité) ou regrattier : élu par le conseil de communauté, celui-ci vend le sel au détail aux gabellants des communautés dont il a la charge. Il perçoit pour cela une rétribution de deux à quatre deniers par livre de sel vendue. Toutes les familles sont soumises à un achat minimum obligatoire de sel par an. La quantité annuelle à lever en livres par personne et par bête est la suivante :

(1 livre de Turin ou de Savoie = 0,36884 kilogramme)
• Personne de plus de cinq ans : 8 livres
• Bœuf, veau ou génisse : 4 livres
• Vache : 8 livres (compte tenu du sel nécessaire à la salaison de son  » fruit  » c’est à dire des produits laitiers)
• Mouton : 1 livre
• Brebis : 1 livre
• Chèvre ou bouc : 1 livre
• Cochon ou autre grosse bête mise à saler : 10 livres
• Chèvre ou autre petite bête mise à saler : 3 livres
• Cabaretiers, boulangers et autres activités assimilées : taxés à proportion de leur usage de sel, évaluée par le secrétaire de communauté lors du recensement

La gabelle du sel représente au XVIIIème siècle environ 8% du revenu minimum vital d’une famille.

Acte de mariage de Jean Claude Cogne et Marie Cogne, Vers, 29 avril 1850

Ainsi, lorsque Théodore Cogne naît en 1861, dans une Savoie devenue française, suite au référendum du 15 avril 1860, les Cogne représentent une famille bien implantée sur les pentes du Vuache.

Il semble que Théodore n’ait pas passé toute sa jeunesse à Vers : on trouve son nom dans le recensement de 1871, habitant avec ses parents, mais plus aucune trace de lui au village après cette date.

On apprend seulement par son registre matricule (fiche militaire) ci-dessus, qu’il est marchand à Genève au moment d’effectuer son devoir militaire en 1882. Enrôlé dans le 40eme Régiment d’Infanterie, il revient fin 1886 à Genève et exerce le métier de charretier. Il y rencontre sa future femme en 1887, lors du Tir Fédéral au Stand St-Georges. Marie Angeline y est alors serveuse.

Née à Romainmôtier, dans le canton de Vaud, en 1861 également, Marie Angeline Grimbühler est issue d’une famille alsacienne et suisse-allemande. Son père Pierre Grimbühler est originaire de Bitschwiller, près de Thann dans le Haut-Rhin. C’est un petit village niché entre le Ballon d’Alsace et Mulhouse et les ancêtres de cette branche proviennent tous de cette région et plus précisément des vallées de la Thur et de la Doller.

Les Grimbühler, dont l’orthographe varie selon les époques et les rédacteurs des documents, habitaient cet endroit depuis la seconde moitié du XVIIIeme siècle, lorsque l’ancêtre Jean est arrivé de Schwaz en Autriche, à une vingtaine de kilomètres d’Innsbruck. Les raisons de cette migration restent inconnues (religion, guerre, déclin des mines du Tyrol – ils étaient mineurs – etc.).
La branche des Ringenbach est, elle, originaire de ces vallées alsaciennes depuis des siècles. Un cousin lointain rencontré sur internet m’a communiqué la nombreuse descendance de nos ancêtres alsaciens. Cela m’a rendu un grand service, étant donné que les recherches en Alsace sont compliquées du fait de la langue (actes en latin ou en allemand) mais surtout de l’écriture.

Décès de Bartholomé Grimbühler, Bitschwiller 30 pluviôse an 11

Meyerei von Bitschwiller Gemeinde bezirk von Belfort vom
Dreysigsten Pluviose eilften Jahre des franken Republik.
Absterbend akt von Barthelemy Grimbüehler vershieden den dreysigsten
Pluviose um halb fünf uhr Morgens in seinem Alter von siebenzig
Drey Jahrinim Leben gewester Eheman der verstorbenen Magdalena
Wartmannin++ gebohren zu Inspruk im Tyrol.
Auf die aufforderung und declaration, die an uns gemacht worden
Von dem burger Mathias Grimbüehler alt vierzig Jahr, und von
Dem burger Joseph Grimbüehler alt sechs und dreyssig beide arbeiter
Auf dem Schmelzofen zu bitschwiller, und daselbst wohnhaft welche
Gesagt: sie seyen beide ehelich erzeugte söhn des obgemelt verstorben.
Daher haben sie sich unterschrieben
Bekräftiget von mir Jacob Clad Maire von Bitschwiller des Amt eines öffentlichen
Beamten des Bürgerstandes verstehend hier Ends unterschriebener.

Joseph Grimbüehler Mathias Grimbüehler
La mère de Marie Angeline, Elisabeth Wenger (1829-après 1888), vient, elle, de Suisse alémanique. Je n’ai pas encore effectué de recherches sur cette branche, les documents étant à Berne et peu accessibles. La seule chose dont on soit sûr est que la famille Wenger trouve ses origines à Buchholterberg dans le canton de Berne, près de Thoune. Il faudrait consulter le registre de bourgeoisie, conservé dans la commune. Celui-ci fait état de tous les membres d’une même famille sur plusieurs générations.

Ainsi donc, Théodore et Marie Angeline se marient à Genève le 24 novembre 1888.

Traduction du consentement d’Elisabeth Grimbühler au mariage de sa fille

Extrait de l’acte de décès de Pierre Grimbühler, Berne 11 avril 1879

Selon l’acte de mariage, ils habitaient rue de Lausanne 49. Début 1889, Marie Angeline donne naissance à un enfant mort-né puis à Théodore, né le 21 janvier 1890 à Plainpalais, alors commune indépendante de Genève. Leur adresse est le 4 chemin de la Coulouvrenière, le long du Rhône.

On peut se poser la question du choix du prénom : tradition de nommer le premier-né comme le père (ou le parrain) ou à cause de la maladie de ce dernier, car malheureusement, leur union est de courte durée : Théodore père meurt le 20 novembre 1890 de tuberculose, après moins de 2 ans de mariage, laissant un fils de 10 mois. Il avait 29 ans.

Se retrouvant seule avec son fils, Marie Angeline se dirige vers Sauverny quelque temps après. Elle rejoint, vraisemblablement vers 1895, son beau-frère, veuf également. En effet, Ferdinand Démolis avait épousé Marie Franceline Cogne, sœur aînée de Théodore père. Cette dernière est décédée à Sauverny en 1894 à l’âge de 42 ans.

Ferdinand et Marie Franceline étaient cafetiers à Versoix tout d’abord, où ils exploitèrent le Café Riondel puis le Café de la Couronne dans les années 1880. Ils eurent trois enfants :
Léontine (1879- ?), épousera un Sauvergnerand, Louis Lacroix, et donnera naissance à Marcel (1912-1995) et à Emile.
Rosemarie, née en 1875 quittera la région et se mariera en 1929 à l’âge de 54 ans à Paris. Cousine germaine et marraine de Théodore fils, elle viendra finir sa vie chez lui à Chevry et mourra en 1951. Sans descendance.
Quant au garçon, François, né en 1872, je perds sa trace à Paris après la première guerre. Il est alors cocher à Paris.

Je ne sais pas pourquoi Sauverny a été le point de chute de ces familles. Toujours est-il que Ferdinand et Marie Angeline habitent désormais ensemble, en face de la mairie-école. Cependant je n’ai pas encore pu localiser avec précision quel bâtiment ils occupaient.

Mairie–école de Sauverny

Recensement Sauverny 1906

Apparemment, la cohabitation entre Ferdinand et Marie Angeline aurait été mal perçue dans le village. On aurait regardé du coin de l’œil cette coexistence « bancale » entre un veuf de 52 ans et une veuve trentenaire.

En 1921, Ferdinand vend la totalité de ses biens aux enchères publiques pour la somme totale de 2 128,80 francs. Théodore lui achète un fourneau rond ainsi qu’une table et deux bancs pour 155 francs. Ferdinand meurt en 1924.

Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que Théodore Cogne a été amené à côtoyer dès son enfance, une certaine Hélène Noël. Ayant à peine 2 ans de différence, ils ont partagé la même école et certainement les mêmes amis, jeux, sorties…

En 1902, Théo obtient son certificat d’études.

En 1911, Théodore est ouvrier agricole chez E. Gauthier quand en octobre, il part effectuer son service militaire qui durait 3 ans à l’époque.

La guerre de 14-18 éclate et il est mobilisé. Faisant partie de 14eme régiment de chasseurs à cheval, il rejoint son lieu d’affectation le 2 août 1914. La copie de son registre matricule qui suit nous renseigne sur son état civil et ses états de service.

Voici un extrait d’un texte écrit par Marcel Lacroix qui raconte ses souvenirs d’enfant à Sauverny:

« Et j’ai pensé à Théodore Cogne, le cousin de ma mère, français par son père, suisse par sa mère. Il devait terminer ses 2 années de régiment à la fin de juillet 1914 : ce n’est que près d’un an plus tard qu’il revit son Sauverny. Chasseur à cheval, son escadron fut l’un des premiers, sinon le premier, à charger les mitrailleuses ennemies. Sa monture fut tuée sous lui sans qu’il soit blessé. Un chanceux, un solide ; il traversa toute la tempête sans une écorchure, sans un rhume, malgré quatre années passées en une sorte de stabulation libre. Un peu avant la fin des hostilités, il vient nous rendre visite lors d’une permission ; tellement il était couvert de parasites, il refusa de pénétrer dans la maison. En passant au village, il s’était commandé une chaudière d’eau bouillante dans laquelle il précipita ses vêtements, son uniforme, puis, il se baigna dans la fontaine. »

Sa mère, Marie Angeline meurt en septembre 1914 à l’âge de 53 ans.

Théodore prend donc part à la Grande Guerre jusqu’en 1918 et rentre chez lui à Sauverny après être passé au 19eme régiment des Dragons.

Ainsi qu’on le voit, les Cogne sont bien loin d’une ascendance italienne ! Nos racines sont en Haute-Savoie, en Alsace, dans le canton de Berne et dans le Haut-Tyrol.

Notre dernière ancêtre Cogne de Vers, Marie, née en 1824 et grand-mère de Théodore meurt en 1904 à l’âge de 80 ans, après avoir enterré quatre de ses six enfants. Pour la petite histoire, Marie a été la deuxième personne inhumée dans le nouveau cimetière de Vers inauguré le mois précédent…

De nos jours, la descendance des Cogne, hormis celle dont nous faisons partie, est toujours présente à Vers. Gaston Cogne, cité plus haut, est le cousin issu de germain de Théodore.

Jeannot me racontait se souvenir de voyages en char à banc jusqu’à Vers chez une cousine avant la 2eme guerre mondiale et on trouve encore des tombes de Cogne au cimetière. Le parrain de Gilbert Cogne était à Vers lui aussi. Des cousins lointains sont installés dans le Mandement genevois, d’autres, plus proches, à Seyssel 74.

Nous arrivons en 1918, juste avant le mariage de Théodore.

Deuxième Partie: De l’origine des Noël

Un des points de départ de toutes mes investigations a été une lettre de Maurice Noël à son oncle François, de Blankenberge, envoyée à l’occasion des vœux de 1958 (voir en fin de volume). Maurice lui raconte avoir entrepris des recherches sur les origines des Noël et lui donne quelques détails. C’est donc lui qui a directement orienté mon enquête sur cette autre branche.

Les Noël étaient établis depuis des siècles apparemment dans le village de la Balme d’Epy et son hameau de Senaud, dans le Jura.

Maurice a eu plus de chance que moi, il a pu consulter les registres paroissiaux. Il faut dire que la mairie de ce minuscule village – 53 habitants en 2010 – à 2 heures du Pays de Gex n’est ouverte que le lundi matin.

Acte de mariage Noël-Favier, La Balme d’Epy 20 février 1719

Quittant ce milieu de nulle part, le premier Noël qui est arrivé dans le Pays de Gex s’installe à Mourex. Il s’agit de Louis (1740-1822) dit Lili le Comtois, surnom dont il a vraisemblablement hérité à son arrivée dans la région : La Balme faisait en effet partie de la Franche-Comté. Nous sommes alors vers 1769-70. En 1771, Louis épouse une fille du coin, Jeanne Poncet (1736-1822), issue d’une vieille famille de Mourex.

En 1807, le cadastre napoléonien montre que la famille Noël habite Mourex, à la croisée de la route de Vesancy. Elle possède, en plus de la maison d’habitation, en rouge ci-après, avec sa cour (en bleu) et son jardin (en vert) attenants, quelques pièces de terre labourable, des châtaigneraies et une chenevière. Contrairement à de nombreuses familles, les Noël n’ont pas de vignes.

Louis Noël est tailleur de pierres et travaille dans les carrières du Mont Mourex, où l’on peut encore voir aujourd’hui les restes de plusieurs d’entre elles et trouver des lauzes, telles que les utilisaient nos ancêtres pour recouvrir les toits. Il empruntait sans doute le chemin qui mène encore au parking des sentiers parcourant le Mont jusqu’à Divonne. De ses quatre enfants, seule la descendance de notre ancêtre François (1778-1848) s’est prolongée jusqu’à nos jours.

François se marie avec Pernette Goudard (1780-1851) de Grilly, le 8 brumaire de l’an 12 (31 octobre 1803). Il est à noter que plusieurs ancêtres de Pernette sont enterrés à différents endroits dans l’église de Grilly, localisés dans les actes de sépulture. Ces personnes jouissaient d’un statut social plus élevé, portant le titre d’ « honorables ».

Leur fils Marc (1810-1871) est le premier des Noël à quitter Mourex, vers 1840, et part s’installer à Chevry, où il convole avec Jeanne Estier (1814-1894) en 1841, dont les ancêtres étaient de Chevry et des hameaux voisins : Avouson, Mury, etc.

Les raisons qui ont amené Marc à Chevry sont inconnues : travail, rencontre de Mademoiselle Estier… On peut supposer qu’il se soit marié « en gendre » : à l’inverse de la pratique habituelle, le mari quitte sa famille et va s’installer dans la belle-famille. Marc était agriculteur et on peut remarquer sa signature particulière qui apparaît sur la majorité des actes d’état civil de Chevry, où il est témoin de nombreux événements pendant une trentaine d’années. Il occupe également la fonction de commis percepteur.

Ils eurent 3 enfants : Marie Etiennette, née en 1843 et morte à l’âge de 8 mois.

Auguste, né en 1850 qui était diamantaire à Divonne. Il épouse en 1883 une fille de 14 ans son aînée, Mathilde Ragot de Saint Genis. Il meurt 5 ans plus tard à l’hôpital de Gex, sans descendance. Et Jules, né en 1848.

Jules grandit à Chevry, mais les anecdotes ou documents de cette période font malheureusement défaut, à l’exception de son registre matricule.

Registre matricule de Jules Noël

En 1871, il s’unit avec Marie Lucile Vauthier, née en 1851. Cette dernière a des racines bien implantées dans le Pays de Gex (familles Bovet de Chevry, Péchard de Naz, Prévôt de Versonnex, etc.), mais également dans d’autres régions comme Les Rousses avec les Vendel, la Haute-Savoie avec les Guennard de Ballaison, et l’Alsace. Des origines allemandes plus lointaines sont à confirmer.

Lors de leur mariage le 26 avril, ils reconnaissent leur premier enfant, Alfred, né quelques mois auparavant.

Les voici quelques années plus tard…

Marc Noël s’éteint le 12 juin de la même année à l’âge de 61 ans.

Entre 1874 et 1876, Jules et Marie partent pour Sauverny-Suisse où Jules avait trouvé un emploi de maréchal-ferrant. Et ce n’est peut-être pas par hasard… Son oncle
François Estier (1806-1875), ci-contre, et le fils de ce dernier, Jean né en 1834, exploitent en effet depuis une trentaine d’année le Moulin du Martinet, comme le raconte Marcel Lacroix :

« Quelques notes en vrac à l’intention de mon petit cousin Stéphane, concernant son aïeul Jules Noël, maréchal-ferrant, à Sauverny.

Au cours des temps, un acte notarié de 1390 le confirme, les eaux très fraîches de la Versoix animèrent des roues de moulins. Il n’en exista pas moins de quatre sur un parcours d’environ deux kilomètres que l’on peut situer au bas du territoire de la commune française de Sauverny.

Ce furent, dans l’ordre :

1-Le Moulin de Grilly, implanté à la limite des deux communes. Celui-ci disposait de la chute la plus haute. Son canal est obstrué depuis plus de cinquante ans, l’installation également, à l’exception de superbes blocs de pierre du Jura qui supportaient les vannes ou dirigeaient l’eau sur le canal. [Ce moulin fut exploité par la famille Bonnefoy, venue des Rousses, à partir du début des années 1800].

2-Le Moulin dit du Martinet, sur territoire suisse. Appelé ainsi car le moulin comportait une taillanderie fort ancienne [le martinet est un marteau à queue, constitué d’une longue pièce de bois animée par une roue de moulin, utilisé spécialement pour la fabrication d’outils aratoires], qui fut reprise vers 1840 par un nommé Estier [François] venu de Chevry. Celui-ci renforça la sorte d’île qui sépare le canal d’amenée du lit naturel par l’apport de plus de 100 chars de roche provenant vraisemblablement de Crozet, des chars traînés par des bœufs.

Le nommé Estier avait un fils [Jean né en 1834, ci-contre] qu’il destinait à prendre sa suite à la taillanderie. Celui-ci fut vraisemblablement victime de la polio qui lui atrophia le bras droit, l’empêchant ainsi de devenir martinatier à son tour. La famille décida alors d’abandonner le travail du fer pour se vouer au moulin à blé, à la cidrerie et à l’huilerie de noix, travail accessoire jusque là. Ce devait être après la guerre de 1870 et ce fut Jules Noël, forgeron, venu de Mourex, qui reprit l’atelier et son martinet. Il existait dans le bâtiment un appartement où naquirent plusieurs des filles Noël, dont tante Louise Romand. »
Lacroix ajoute par ailleurs : « Seul le Moulin du Martinet, à Sauverny, subsistait en 1900. Jean Estier, l’arrière-grand-père, avait passé de la forge à la meunerie. A cette époque, une dizaine d’hommes, avec autant de chevaux, étaient occupés au transport du grain depuis les gares de Versoix, de Crassier et de Gex, à sa transformation et à la livraison de la farine et autres dérivés dans toute une vaste région. »

« Vers 1890 semble-t-il, nouvelle génération d’Estier, meuniers, qui veut compléter le moulin par la création de silos et l’installation de nouvelles machines qui permettront de transformer en farine 10000 kg (100 sacs) de blé par jour. Jules Noël reçoit son congé, sans altérer les bonnes relations avec la famille Estier, il occupera désormais, avec sa famille, la maison appartenant à la famille Balleydier qui fait face à l’église de Sauverny-France et fait construire une forge – bâtiment en bois – côté suisse à quelques pas de la douane. Il y avait là un double foyer et deux enclumes, avec une énorme perceuse qui se manoeuvrait, hélas, à bras. Plus de roue de moulin pour l’actionner !

La maison

La forge

Jules Noël avait une grande clientèle ; au début du siècle il se rendait à domicile, Grilly et Mourex en particulier, pour ferrer les bœufs. Par la suite le nombre de chevaux devait augmenter. Il était un maître dans sa profession de forgeron et effectuait avec plein succès les travaux de grosses serrureries. C’est ainsi qu’il ferra les camions automobiles construits sous la conduite de François Estier. Ceux-ci avaient conservé, à l’origine, la structure des chars à chevaux. La partie bois était fabriquée par le charron Masson à Allemogne-Thoiry. Personne n’a pensé à conserver au moins l’un de ces trois véhicules.
Jules Noël occupait pour le moins un ouvrier [Ernest Quinat] jusqu’au moment où son fils Félix (ci-contre) devint son collaborateur. Cette collaboration fut, hélas, assez courte et ce robuste jeune homme décéda vers 1920 [15 avril 1920].

La forge fut alors reprise par André Gendre, venu du canton de Fribourg.

Jules Noël et sa famille, sa fille Hélène avait épousé Théodore Cogne, cousin germain de ma mère qui exploitèrent quelques temps le bistrot de Sauverny, se replièrent sur Chevry où l’on avait hérité d’une grande maison.

3-Le Moulin du Pont, devenu moulin de la famille Gay. C’est de lui dont parle l’acte de 1390. Il se situait à une centaine de mètres du pont et de la douane de Sauverny. A l’abandon depuis la mort de Félix Romand [1881-1955, époux de Louise Noël] qui exploita avec maîtrise la taillanderie annexée, il est devenu une bonne belle résidence. La meule du moulin a été conservée au centre du salon.

4-Le Moulin de la Barouche, cinq cents mètres plus en aval du précédent. A l’abandon depuis longtemps, la maison, immense, tombe en ruines. »

Sur les bords de la Versoix, la famille Estier se distingue en mécanique. « C’est au moulin de Sauverny que les premiers camions automobiles firent leur apparition dans notre commune à l’initiative de François Estier, passionné de mécanique, de progrès. Les moteurs étaient fabriqués à Nyon tandis qu’un charron du Pays de Gex et Jules et Félix Noël, les maréchaux du hameau, construisaient le châssis qui avait conservé, au début du moins, l’aspect des chars à chevaux. » (Versoix Genevoise, Marcel Lacroix, 1984, p23). François Estier est également à l’origine de l’arrivée de l’électricité, de l’eau potable, du télégraphe et des moissonneuses-lieuses dans la commune.

Voici encore un extrait des souvenirs de Marcel Lacroix :

« Sur l’emplacement des garages des gardes-frontières, il y avait la forge de Jules Noël ; l’énorme soufflet de cuir et la non moins imposante perceuse étaient actionnés à la main. On travaillait à trois dans cette modeste construction de bois à ferrer les chevaux alors nombreux – pour les bœufs, le maréchal se rendait généralement à domicile – à réparer les charrues, les herses, à cercler les roues des chars. Jules Noël, à qui se joignit par la suite son fils Félix, était un artisan d’élite. Il construisit non seulement les châssis des premiers camions, mais il excellait aussi dans la grosse serrurerie, dont les escaliers métalliques. »

NB : « La partie bois était l’œuvre du charron d’Allemogne près de Thoiry, du nom de Masson sauf erreur ; quant au moteur, un deux cylindres, il provenait de l’atelier Dufour et Tissot à Nyon. »

Hélène, la fille de Jules, témoigne également :
« Hélène porte allègrement ses 87 ans ; veuve depuis plusieurs années, elle vit avec ses enfants tout en sauvegardant son autonomie. Elle va toujours vendre les légumes de son jardin sur le marché de Genève mais non pas avec une ‘poussette’ comme jadis, en automobile cette fois. »
« Hélène se souvient du travail de son père, elle explique :
Les fers du maréchal
Je me souviens que mon père actionnait deux grands soufflets pour attiser le feu de sa forge… Il fabriquait les fers l’hiver, dans des grandes barres de fer qu’il achetait : deux de devant, deux de derrière, car les pieds n’étaient pas les mêmes… Il les attachait ensemble et les suspendait à l’atelier, comme cela tout était prêt au moment des travaux. Lorsque l’animal était là, on essayait le fer et on n’avait qu’à le modifier ; pour cela on le chauffait jusqu’à ce qu’il devienne rouge… On plaçait le cheval ou le bœuf dans le ‘détroit’ afin qu’il ne bouge pas… Un homme lui tenait le pied et l’autre posait le fer… S’il y avait quelque chose qui n’allait pas, on taillait la corne du pied.
Il fallait une bonne heure pour ferrer un cheval. Si les fers n’étaient pas trop usés, ils n’avaient besoin que d’être relevés… Alors, on les enlevait, on les chauffait et on les replaçait. Cela coûtait au début du siècle 3,50 F les quatre pieds pour relever les fers, et 4,00 F pour ferrer en entier (le pain coûtait 22cts le kilo et le lait 20cts le litre). »
Histoires vraies d’autrefois, Les vieux paysans gessiens racontent. A.M. Prodon, Gex 1980, pp 20, 46-47.

Jules et Marie auront ensuite sept enfants en 21 ans : Alfred en 1871, Félix en 1872, Augusta en 1876, qui se noiera dans la Versoix l’année suivante, Augusta en 1878 (une vieille habitude de donner le prénom d’un enfant déjà décédé), François en 1880, Louise en 1886, Jeanne en 1890, et enfin Hélène en 1892. On remarquera ci-dessous que leur état civil complet comporte plusieurs prénoms, dont celui utilisé au quotidien est rarement le premier. C’est une autre habitude très en vogue dans la seconde moitié du XIXeme siècle.

En 1888, selon un acte notarié, Jeanne Estier vend tous ses biens à son fils Jules. Pour la somme de 1 200 francs, elle lui cède ses meubles ainsi que deux pièces de terre dont elle avait hérité de son père vers 1840 :

  • Pré Clos, 65 ares et 40 centiares
  • Bois de Chenaz, 27 ares et 50 centiares

Agée de 74 ans, Jeanne semble quitter Chevry pour s’installer chez son fils à Sauverny, où elle décède en 1894.

Certains enfants Noël naissent chez leur grand-mère maternelle, Julie Vendel, à Chevry. Cette dernière occupe alors la maison héritée en 1874 de son mari Jean Maurice Vauthier, celle-là même qui sera habitée ensuite par Théodore Cogne et sa famille jusqu’à la fin des années 1960.

Parlons un peu de cette maison : la première mention dans la famille en est faite en 1859. Cette année-là, Jean Maurice Vauthier (1801-1873) et un de ses frères, Pierre André de Naz-Dessous, achètent à Monsieur Girod de l’Ain, par ailleurs un lointain cousin, ‘un mas de terrain situé à Chevry comprenant habitation, grange, hangar, cour, jardin, pré’. Aussitôt après, ‘Pierre André échangea sa part de ladite acquisition avec Maurice Vauthier contre une part de maison que ce dernier possédait à Naz-Dessous’.
Les Vauthier s’étaient partagé une masse importante de biens immobiliers provenant de leurs parents en 1845 : 2 propriétés à Naz-Dessous, la ferme de ‘Félix Vauthier d’en haut’ ainsi qu’une quantité non-négligeable de terres et la fratrie s’échange ainsi régulièrement des pièces dans les années qui suivent. En remontant encore plus loin, cette famille Vauthier semble provenir de ‘Chataigneriaz’ (La Châtaigneraie, commune de Commugny, Vaud), où on retrouve Syste Vautier en 1550. Un détour par Sauverny puis par Versonnex et on les revoit à Chevry avant la Révolution. Il semblerait, par ailleurs, que le H de Vauthier soit une erreur de transcription dans le courant du XIXème siècle.
Jean Maurice jouit désormais de toute la propriété, repérée par les numéros 249 (maison), 250 (pré) et 248 (jardin). On distingue également les escaliers extérieurs parallèles à la route. Félix Cogne les remplacera par les escaliers actuels, le long de la façade (voir ci-dessus).

Il en va ainsi jusqu’en 1874, au partage de ses biens. Ceux-ci reviennent à sept personnes : Julie Vendel, sa veuve, et ses 6 enfants. Les choses étant plus complexes qu’elles n’apparaissent, Jean Maurice Vauthier a été marié deux fois et père d’enfants de son premier mariage avec Andréanne Cusin :

  • Eugénie (1831-1907) épouse de Marc Berthaud de Sergy
  • Louis André (1833-avant 1911), parisien, le beau-père de la cousine Vauthier
  • Joseph (1833-1834), ne rentre pas en ligne de compte pour le partage
  • Jean Auguste (1835-1879), célibataire, cuisinier à Londres en 1874, mort à La Havane

Auxquels il faut ajouter les 3 enfants qu’il a eus ensuite avec Julie Vendel, qui seront évoqués plus loin.
Un inventaire après décès a été effectué courant 1873 afin de répertorier tout ce qui était à partager. Celui-ci débute le 15 avril à 8 heures du matin par la présentation des parties. Aux sept héritiers ou leur représentant, il faut ajouter deux gendres (Berthaud et Noël) étant donné que les femmes mariées doivent être autorisées par leurs époux, le tuteur de 2 enfants Vauthier encore mineurs, les 2 témoins requis, le notaire, le gardien des scellés et enfin le greffier, 15 personnes au total.

Il faut imaginer cette petite société se déplaçant dans toutes les pièces de la maison et les dépendances au fil de l’inventaire. La prisée débute ‘dans une cuisine sise au rez-de-chaussée de la maison qu’habitait A. Vauthier défunt, ladite pièce prenant entrée par une porte s’ouvrant sur une cour et éclairée par deux fenêtres au midi sur ladite cour.’ S’ensuit ‘jusqu’à quatre heure du soir’ l’énumération détaillée de tout ce que le notaire trouve sur son chemin. Pêle-mêle ‘une coquelle, deux marmites et une cloche fonte estimés six francs’, ‘vingt-cinq draps de lit en toile bons et mauvais estimés cent francs’, ‘une jument hors d’âge poil blanc estimée deux cent cinquante francs’, de l’huile, du fourrage etc. pour la somme finale de 4499 francs, qui sera prise en compte lors du partage qui suivra. Du 1er au 3 mai suivants, notre petit groupe se rassemble pour étudier les nombreux papiers retrouvés, concernant diverses transactions effectuées par feu Vauthier. Les descriptions précises du contenu de ces documents renseignent à peu de frais sur l’histoire immobilière d’une famille à l’époque.

Les 25 pages de l’acte notarié réglant la succession l’année suivante résument l’état de l’actif et du passif de Jean Maurice et se terminent par une répartition compliquée des biens en jeu. Il est tenu compte de la valeur des biens estimée ci-dessus, des acquisitions immobilières, legs de parents, dépenses diverses (remplacements militaires, etc.) survenus au cours des deux unions et la part revenant à chacun est déterminée selon de savants calculs.
La répartition qui suit est un exemple typique de partage de succession. Afin de ne léser aucune des parties, le découpage des biens est parfois surprenant. Certains terrains, par exemple, se retrouvent complètement enclavés ou biscornus, le redécoupage ayant tenu compte de la pente, de l’exposition ou de la qualité du sous-sol. Il va sans dire que ces pratiques répétées sur plusieurs générations ne pouvaient qu’engendrer des problèmes de voisinage et de droits de passage… Les procès qui en découlaient souvent faisaient la fortune des notaires et grevaient sérieusement le budget des familles.

En outre, des conditions particulières s’appliquent. Par exemple :
-« les portes intérieures communiquant entre les deux lots (Vendel-enfants Vauthier) seront bouchées à frais communs. »
-« le premier lot (Vendel) aura la propriété de 2,50m de terrain à partir du milieu de la grange jusqu’au mur de Mr Girod dans le jardin au-devant de son écurie soit pour le pied de l’échelle, soit pour y élever des espaliers, mais il ne pourra passer sur le 2ème lot que pour y tailler les espaliers et cueillir les fruits. »

Les enfants du 1er mariage de Jean Maurice semblent céder leurs parts de maison de Prost dans les années qui suivirent. Mais quand et à quelles conditions, cela reste à trouver… En effet, 26 ans plus tard, tout recommence, mais la maison et ses alentours ne sont plus qu’à partager en trois, les enfants du deuxième mariage.
Vous suivez toujours ?

Notre ancêtre Marie Vauthier avait donc un frère, François (1852-1919), cultivateur à Chevry et une sœur, Joséphine (1855-1916), épicière, qui ne se marièrent ni l’un ni l’autre. En 1900, ils se mettent d’accord tous les trois sur les biens laissés par leur mère, décédée quatre ans plus tôt.

Le cas qui nous intéresse ne déroge pas à la règle. L’enjeu est « la maison d’habitation de Prost et sa cour, un verger avec jardin, une écurie avec partie de grange et petit hangar récemment construit dans le verger désigné plus haut », le tout d’une superficie de 35 ares, estimé 3 500 francs.

Marie simplifie les choses : elle a déjà des biens de son père, dont une partie de la maison, et elle cède alors ses droits sur la succession de sa mère ainsi qu’un droit de passage derrière la maison.

François obtient la cuisine, la chambre au 1er étage ainsi que le grenier au-dessus, l’escalier extérieur et le réduit sous l’escalier, « la moitié de l’écurie à prendre en entrant au couchant avec deux cours de grange au-dessus avec la part du bétandier appartenant à la succession, soit en entrant. », toute la longueur nord du jardin et du verger et enfin « le dessus du petit couvert attenant au midi à l’écurie ». Il récupère aussi le matériel agricole, les récoltes et certains meubles, moyennant un dédommagement de 250 francs à chacune de ses sœurs.

Joséphine, elle, hérite du magasin au rez-de-chaussée, d’une chambre au premier et de la partie du grenier au-dessus, de l’escalier intérieur, de « la partie de l’écurie au fond, soit au levant, avec trois cours sur la fenière au fond », du dessous du petit couvert et de l’espace de terrain au fond pour y faire un passage pour aboutir à son écurie. Elle garde également les quelques meubles restants.
Le notaire précise que le grenier sera partagé au moyen d’une cloison et que les ouvertures intérieures dans le gros mur en maçonnerie devront être bouchées pour séparer les lots.
De même, « chaque copartageant entretiendra la toiture au-dessus de sa part, sauf pour le petit couvert attenant à l’écurie dont l’entretien sera à frais communs ». La grange et l’ouverture du bétandier restent en indivision.

Tout comme le partage, son opposée l’indivision, n’est pas sans créer de problèmes. Il était fréquent que les héritiers d’un bien indivis aient besoin de l’utiliser en même temps (outils, accès, etc.) ou se rejettent la responsabilité de son entretien ou de son dysfonctionnement.

La fratrie Vauthier se partage également quelques pièces de terre, en respectant les règles évoquées, le tout représentant la somme de 4 000 francs. François loue la part de Joséphine, au prix de 75 francs par an. « Le preneur devra cultiver les champs en bon père de famille sans y faire ni souffrir qu’il y soit fait aucune dégradation ».

Partage 1900

En 1903, Joséphine revend sa part à Jules Noël pour la somme de 2 400 francs lorsqu’elle quitte Chevry pour aller travailler aux Thermes de Divonne.

Quelques années plus tard, François désigne son neveu Félix Noël comme son héritier. Hormis 400 francs qu’il partage entre Louise et Hélène Noël, ses biens reviennent à Félix qui n’en profite guère, mourant l’année suivante. De fait, Jules Noël et son épouse récupèrent la part de la maison qui leur manquait. Celle-ci leur appartient désormais en totalité.

L’histoire de la maison n’est pas tout à fait terminée, comme le montrera le partage après le décès de Jules Noël en 1925. Mais voilà comment, avec quelques actes notariés, de la chance et de la patience on ébauche petit à petit le parcours de quelques personnages et leur environnement proche.
Revenons un instant à Sauverny…

Recensement Sauverny, 1906

Famille Noël, Sauverny vers 1906

Jeanne Noël, Augusta Noël, Louise Lamy, Alfred Noël, Félix Noël, François Noël, Louise Noël, Hélène Noël, Germaine Noël, Jules Noël, Marie Lucile Vauthier, Maurice Noël

A peu près à la même époque est votée la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Il est alors décidé de procéder à un inventaire des biens dans le but d’en préparer la dévolution aux associations cultuelles (paroissiales). Il débute le 13 mars 1906 et notre Jules y prend part, étant membre de la fabrique.
La fabrique regroupe les décideurs, clercs ou laïcs, qui gèrent les fonds destinés à la construction et à l’entretien des édifices et du mobilier. Elle tire ses revenus des quêtes et des offrandes, des dons et des legs, des loyers et des fermages, ainsi que de la location des places des bancs. Les membres sont les marguilliers ou les fabriciens.
Cet inventaire donna lieu à des tensions dans plusieurs régions de France, ravivées lorsque l’on apprit que les agents en charge demanderaient l’ouverture des tabernacles, selon la circulaire de février 1906. Cette dernière décision mit le feu aux poudres. Les catholiques la virent comme une profanation et une spoliation. En effet, de nombreux fidèles avaient participé à la reconstruction des églises après la Révolution et leurs descendants se considéraient comme « responsables » de ces édifices. Dans certaines régions du pays, les heurts furent violents, des paroissiens allant jusqu’à s’enfermer dans les églises pour empêcher l’inventaire.
A Sauverny, il ne fut pas non plus bien accueilli, on refusa de le signer.

Ces querelles prirent fin peu de temps après, Clémenceau ayant indiqué aux préfets de suspendre les inventaires `à risques´.

Au début de la guerre de 1914, Jules Noël exerce également la fonction de sacristain, bien qu’il fût réputé ne pas être très pieux. On le voit ci-contre en compagnie du curé Henri Jame,, ils sont alors gardes civiques et surveillent la frontière lorsque la guerre éclate. On repère également Louise Noël portant Charles Cretin son neveu et Jeanne Noël, la mère de celui-ci à ses côtés.

Et nous revoici en 1918.

Théodore et Hélène convolent le 20 décembre… A ce propos, j’ai entendu dire que la famille d’Hélène n’approuvait pas ce mariage. Etait-ce suite au parfum de scandale évoqué plus haut ? Une histoire de « classe sociale » ? Selon la rumeur, Hélène aurait dit que c’était celui-ci ou personne d’autre… Pour sa part, Théo plaisantait sur le fait de s’être marié lors de la plus longue nuit de l’année…

Les choses bougent en 1920. Félix Noël, qui aurait dû reprendre la forge, meurt de tuberculose à 48 ans. La famille Noël repart pour Chevry, comme le montre le recensement de 1921. La maison abrite alors les grands-parents Noël, Théo et Hélène et les enfants.

Félix Cogne est le seul à être encore né à Sauverny, un mois après la mort de Félix Noël (ce qui explique le choix de son prénom). Gilbert, Jean et Geneviève naissent à Chevry et les grands-parents Noël meurent à Chevry également ; Marie Lucile en 1922 à 70 ans. Elle semble avoir été malade plusieurs années car elle n’est pas présente au mariage de ses enfants en 1913 et en 1918. Jules disparaît en 1925 à 77 ans, apparemment suite à des complications après un coup de froid sur une fondue.

Famille Noël vers 1924. De gauche à droite: Hélène, François, Louise, Théodore, Félix Romand mari de Louise, Alfred, François Cretin mari de Jeanne, Gilbert, Félix, Louise Lamy femme d’Alfred, Raymond, Jules, Charles, Jeanne, Suzette, Sophie Frey femme de François

La disparition de Jules pousse les enfants Noël à partager les biens qu’il a laissés. Jules et Marie avaient fait leurs testaments en juin 1921. Le conjoint survivant bénéficiait de l’usufruit de la moitié des biens, alors que les enfants se partageaient les biens meubles et immeubles, dont un quart est à partager directement entre Louise et Hélène, qui se trouvaient de fait favorisées. Elles avaient également à charge de « fournir gratuitement, pendant son célibat, à leur sœur Augusta, un logement de deux chambres dans les bâtiments légués ».
Au terme d’un acte du 23 décembre 1925, après les habituels calculs pour l’évaluation des droits respectifs, Félix étant décédé avant ses parents, les biens de Jules Noël sont répartis entre ses enfants. Louise, Hélène et Augusta reçoivent la maison et ses dépendances, François et Alfred les terrains et Jeanne la vigne de Grilly et de l’argent liquide. En valeur, les deux filles avantagées héritent de 22916 francs chacune, leurs frères et sœurs de 12291 francs chacun.

La famille Cogne reste donc seule désormais à Chevry et Théo travaille comme cantonnier pendant qu’Hélène cultive ses légumes qu’elle vend au marché. Au début des années 1930, ils rouvrent l’épicerie dont les affaires ne seront malheureusement pas florissantes ; la fermeture intervient rapidement.

Théodore, Gilbert, Jean, Hélène et Félix à Chevry vers 1928

Communion de Jeannot, Chevry printemps 1937

Dernier rang: Félix Cogne, Camille Roman, Denise Cretin, Henri Cretin, Gilbert Cogne
Au milieu: Jeanne Estier marraine de Jeannot, Louise Noël, Charles Cretin, Josée Anthonioz-Blanc, Félix Roman, Marcel Lacroix parrain, Alice Coindet sa femme
Devant : Bernadette Cretin, Jeanne Noël, Théodore Cogne, Maurice Cretin, Jeannot, Hélène Noël, Geneviève Cogne, François Cretin, Odette Cretin

Faisons le point sur les frères et sœurs d’Hélène.

François Joseph Jules Alfred : 1871-1945. Charron à Divonne, son atelier se trouvait en plein centre-ville, en-dessous de l’actuel Office de tourisme. Il épouse en 1900 Louise Lamy (1877-1960) et aura 3 enfants: Germaine, 1900-1980, épouse Marcel Hauser, mère de Dominique (Poupette) et de Louis Hauser, Maurice, 1901-1975. Je parlerai de lui un peu plus tard
Francis, 1908-1997, sans descendance. Sa ressemblance avec Gilbert Cogne était frappante…

François Marie Lucien Félix : 1872-1920. Célibataire, sans descendance. Sa tombe est toujours visible au cimetière de Sauverny.

Marie Julie Augusta : 1876-1877. Se noie dans la Versoix.

Marie Julie Augusta : 1878-1941. On pourrait penser que c’est la fantasque de la famille… Beaucoup d’histoires circulent à son sujet. Elle quitte le Pays de Gex en 1906 et part comme préceptrice en Russie dans la région de Kharkov, d’où elle se serait sauvée au moment de la Révolution d’Octobre, en ramenant des bijoux de valeur. Il semblerait qu’elle ait été en place dans une famille très aisée et apparentée à la famille du tsar. Les étés se passent à Mourmansk et les hivers sur les bords de la Mer Noire. Lorsqu’elle revient à Divonne en 1930 après plus de 20 ans d’absence, elle pense pouvoir repartir mais n’obtient pas l’autorisation des Soviétiques.

A Paris, où elle se dirige alors, Augusta rentre au Ministère des Pensions (anciens combattants) avec l’appui de l’homme politique et Directeur du BIT, Albert Thomas. Parallèlement, elle fréquente des Russes blancs, tsaristes réfugiés en France.

Ceux-ci la convainquent de se joindre à eux pour partir défricher au Paraguay. Augusta en revient vers 1937, quasiment ruinée. Il se dit par ailleurs qu’elle aurait contracté un mariage blanc avec un Allemand ou un Russe. Augusta est morte à Paris le 23 juillet 1941. Son acte de décès ne comporte aucune mention de son mariage avec qui que ce soit. Elle est enterrée au cimetière de Bagneux, sans descendance avérée, malgré des soupçons de maternité en Russie…

François Joseph : 1880-1963. Il devient cuisinier et travaille dans plusieurs hôtels en France et en Suisse avant d’épouser Sophie Frey en 1913 et de s’installer en Belgique, à Blankenberge, où il exploite l’Hôtel Suisse. Il a 6 enfants. Il décède en 1963. Par un coup du hasard, j’ai pu retrouver un carton entier d’archives provenant de l’hôtel en 2015, contenant photos, papiers, lettres etc.

Famille François Noël, Blankenberge vers 1934: Yvonne (1919-2012), René (1918-1988), Marie-Laure (1926-1997), Fanny Frey (1890-1937), François Noël, Colette (1932-1943), Henri (1918-1999), Suzanne (née en 1921).

A l’automne 1942, Marie-Laure et sa sœur Colette sont envoyées à Chevry où elles restent quelques mois. Quelques lettres nous renseignent sur leur séjour, pas toujours facile visiblement. Marie-Laure retourne en Belgique à l’été 1943 alors que Colette est à Sauverny. Cette dernière tombe malade peu après et décède à Genève le 18 décembre 1943. J’ai entendu dire que des tensions s’étaient créées suite à cet événement tragique, François semblant tenir Hélène et Louise responsables.

Marie Louise Andréanne : 1886-1966. Elle se marie tard, âgée de 37 ans avec Félix Romand, un veuf de Sauverny, Ils ont un enfant mort-né en 1925 et une fille, Noëlle, née en décembre 1926 et décédée à 15 jours, le jour de Noël… Louise meurt en 1966. Elle était enterrée au cimetière de Versoix, la tombe a été relevée à la fin des années 1990.

Né à Logras en 1881, Félix est taillandier (forgeron spécialisé dans la fabrication d’objets tranchants) et s’installe à Sauverny au début des années 1900. En cherchant ses origines, on découvre qu’il est le cousin de François Estier dont on a parlé auparavant, mais également de sa femme Louise et de la famille Noël. En effet, la grand-mère de Félix, Agathe Estier est la cousine germaine de Jules Noël et la tante dudit François Estier.

Le père Romand, taillandier, passait pour être un véritable artiste dans la fabrication d’outils tranchants : il était le seul à fabriquer des haches droites sur la tranche arrière.’ Versoix hier, p47.

Jeanne Berthe : 1890-1973. Elle épouse François Cretin, de Divonne en 1913, et a 7 enfants. Charles 1913-2001, Raymond 1914-1945, Henri, né en 1920, Denise, née en 1921, Maurice 1925-1988, Odette, née en 1927 et Bernadette, née en 1929.

La guerre 39-45 éclate et certains hommes de notre famille y prennent part. Le fait le plus marquant est sans nul doute l’arrestation et la déportation de Raymond Cretin (voir sa notice biographique en fin de volume).
Les garçons Cogne sont également concernés : Félix part soldat, Gilbert est enrôlé quelques mois dans le STO et part en Allemagne en mars 1943. Jeannot, quant à lui, se cache plusieurs semaines au-dessus de Divonne après avoir renversé un Allemand sur la route.

Arrivé à ce stade du récit, les anecdotes communes se font plus rares : les enfants Cogne se marient et prennent des chemins différents. Rapidement des enfants suivront. Théodore et Hélène auront 19 petits-enfants.

Félix se marie en 1947 avec Simone Chambaz (1926-2010)

Jeannot en 1950 avec Annette Lapierre (1929-1996). Debout au dernier rang: Jean Grignola, Geneviève Cogne, René Grignola. De gauche à droite: Félix Romand, Jeanne Cretin, Jeanne Estier (derrière Théo), Théodore Cogne, Louise Romand, François Cretin, ?, Hélène Cogne, Gabrielle Lapierre, ?, Jean Cogne, Annette Lapierre, Pierre Grignola, Louisa Grignola?, homme inconnu, Rose Lapierre, Marcel Lacroix, Alice Lacroix, Marcelle Blanc

Gilbert en 1951 avec Elisabeth Nyitrai (1924-1975)

et enfin Ginette en 1959 avec Pierre Perret (1932-1998).

Les relations dans la famille Cogne sont parfois explosives… Jeannot et sa famille restent éloignés de Chevry quelques années suite à des différends. Les autres membres de la famille élargie se réunissent toujours régulièrement dans la maison de la grand-route.

Tout le monde se retrouvera dans de tristes circonstances, car Théodore, malade depuis plusieurs mois, décède le soir de Noël 1966.

A cette époque, Félix part pour Lyon où il finit sa vie en 1971. Simone se remarie avec Maurice Guérin et occupe alors une petite maison à Véraz.

Hélène devient arrière-grand-mère dès 1968 et vit les dernières années de sa vie entourée des siens. Elle continue à cultiver et vendre ses légumes au marché de la rue de Coutance à Genève.

Dans les années qui suivent, la famille se revoit au gré des événements qui se succèdent (communions, mariages, funérailles…).

En 1982, sont organisés les 90 ans d’Hélène. Ce sera la seule et unique fois où la famille au grand complet (moins 3 absents) aura l’occasion de se réunir. Le repas a lieu dans la salle des fêtes de Chevry.

Après une vie bien remplie et parfois mouvementée, Hélène, la dernière des enfants Noël, nous quitte subitement le matin du 18 septembre 1984. Elle qui était du siècle précédent et qui avait assisté aux transformations techniques majeures, aux conflits mondiaux et qui était même encore rentrée fort tard (ou tôt le lendemain…) d’un mariage à Chevry, le samedi précédent, disparaît sans un bruit. Ginette la retrouvera dans sa chambre.

Cette histoire ne serait pas complète sans que mention ne soit faite de quelques personnes :

Eugénie Vauthier : Nous sommes nombreux à en avoir entendu parler et les plus âgés l’ont rencontrée. La « cousine de Paris » (il semble qu’un surnom de « cousine bovine » circulait en parallèle…) était également un personnage. Née en 1890 en région parisienne, elle a épousé en 1911 Maurice Vauthier, fabricant de thermomètres. Celui-ci, né en 1873 à Paris, est le cousin germain de notre fratrie Noël.

Ils ont eu un enfant, Jean-Paul, né en 1916.

J’ai toujours entendu dire que la cousine avait passé de nombreuses années à rechercher son fils, disparu pendant la 2eme guerre mondiale. Une autre version m’a été rapportée récemment, selon laquelle il se serait fait disparaître pour échapper au séminaire que sa mère semblait lui destiner. Mais rien de tout ça ! En juillet 2010, j’ai eu la grande surprise de retrouver sa trace… Jean-Paul est « tout simplement » mort le 19 juin 1940, lors d’un combat meurtrier à Blâmont. Il faisait partie du Régiment d’infanterie de forteresse et défendait la Ligne Maginot. Il est surprenant que la cousine n’en ait pas été avertie. De plus, son décès est mentionné sur son acte de naissance depuis 1948. Aurait-elle refusé de croire à sa mort ?… En revanche, je ne trouve pas de trace d’une éventuelle inscription sur un monument aux Morts ni d’un lieu d’inhumation. Eugénie partage son temps entre Paris, Vernon et la Corse, avant de revenir définitivement à Chevry où elle finit sa vie.

Famille Vauthier, Chevry avant 1928. Maurice Vauthier, son épouse Eugénie Viot, Félix Vauthier (1887-1962), Marie Assenare (1861-1928), son époux Marc Vauthier (1844-1931), Auguste Vauthier (1846-1926), ?, ?, Jean-Paul Vauthier

Maurice Noël : c’est LE personnage de la famille. Fils d’Alfred et de Louise Lamy, il naît à Divonne en 1901 et quitte Divonne jeune pour entamer des études de médecine à Paris, après avoir délaissé le séminaire. Il devient, au début des années 30, grand reporter au Figaro. Quand la guerre éclate il dirige les pages littéraires du journal. C’est lui qui est à l’origine de l’expression « la drôle de guerre ». En 1947, il est rédacteur en chef du Figaro Littéraire et le dirige jusqu’en 1961, année de sa retraite. Pendant toutes ces années, il côtoie Sartre, Mauriac, il est ami avec Paul Claudel, etc.

C’est également lui qui engage Bernard Pivot en 1958 comme critique littéraire. Enfin, comme je l’ai dit plus haut, c’est lui qui m’a « aidé » dans mes premiers pas de généalogie. Il se marie 2 fois et a 3 enfants. Il meurt à Divonne en 1975. On peut trouver une plaque commémorative sur la maison natale.

Raymond Cretin : Né en 1914 à Divonne, fils de François et Jeanne Noël

Quelques exemplaires du journal qu’il tenait pendant sa captivité ont été imprimés. Il constitue un témoignage poignant de ses journées passées dans les camps.

Il y a quelques années, le square à côté de l’église de Divonne lui a été consacré et s’appelle depuis square Abbé Cretin.

Par leurs mariages avec des Gessiens de souche, les Noël nous ont apparentés avec les plus anciennes familles du Pays de Gex. En généalogie, le terme « cousin » s’applique à toute personne ayant un lien de sang, aussi éloigné qu’il soit. Ainsi, nous cousinons, de Crassier à Collonges, à des degrés divers avec des Berthaud, des Court, des Girod de l’Ain, etc. La liste est non exhaustive et la consultation des registres apporte souvent de nouveaux éléments.

Il n’y pas d’histoires de famille sans rassemblements pour des raisons diverses, parfois bien indépendantes de notre volonté. En revanche, la programmation d’une réunion de famille, juste comme ça, pour le plaisir, est une occasion rare de se retrouver et de tenter de rattraper, un peu, le temps qui passe. Je crois pouvoir dire que nous avons réussi notre mission ce jour-là. En souhaitant que d’autres suivent…

ANNEXES

Testament d’Etienne Cogne de Bellossy

Au nom de Dieu Amen. A tous soit notoire
Et manifeste, Comme ainsi soit : que l’an de grace courant
Mille sept cents Et le quinzième Mars, par devant moy notre
Ducal, royal soubssignés et pñt les Temoins sous nommés, sest
personnellemt etably et constitué honble Etienne fils de
feu Marin Cogne de bellossy, lequel de son bon gré et libre
volonté pour luy et les Siens, étant sain de sens, bonne
mémoire et entendemt graces à Dieu, quoy quil soit détenu
de maladie et accablé de vielliesse, Considérant en luy meme
quil n’y a rien de plus certain que la mort, ny rien de si
incertain que l’heure d’icelle, et qu’il vaut mieux vivre ayant
testé que de mourir abintestat, sans espérance de longuemt vivre

Il fait son Testament nuncupatif contenant sa dernière
volonté nuncupative, et disposition des biens qu il a plût a Dieu
de luy donner dans ce monde, Et premièremt etant muny du signe
de la Ste Croix par luy sur son corps fait disant In nomine
Patris et filii et Spritus Sancti amen après, et quand son
Ame sera séparée de son coprs, humblemt et devotement il la
Recommande à Dieu le Createur le priant au nom de Jesus Christ
Son fils, qu’il luy plaise luy voulir pardonner les fautes et péchés
Et colloquer sad. ame dans son St Royaume de paradis avec
Ses bienheureux, Elisant sa sépulture au cimetière de Vers au
Lieu et place de ses prédecesseurs, veüillant et entendant que le jour
De son enterremt, ses funérailles et obsèques soient faites selon sa
Qualité et condition, le tout il laisse à la discrétion de ses
Héritiers cy après nommés et que l’aumônme soit faite aux pauvres
Selon sa condition. Item donne aux Rds Capucins de St Jullien un
Quart de bled pour dire des Messes pour le repos de son ame, Item
Veut et entend led. Testateur, et ordonne qu’honte Jeanne Girard sa
Très chère et bien aymée femme, soit maîtresse et gouvernante
De tous et un châcuns ses biens meubles, immeubles, sans compte
Rendre à ses enfants viduellement avec eux et moyennant ce il
Prive, deiette et exclud de trous ses autres biens desquels il n’a cy
Dessus disposé ny ordonné et en ce il la fait son héritière universelle
Et singulière, Item donne et lègue aux hones Jeannetton
Louyse, Antoine et Marguerite Cogne, a châcune d’elles la somme
D’un écu neuf pour faire chacune un Corps noir et c’est outre
Leurs constituõns dotales payable incontinent après son décès par
Ses héritiers cy après nommés et par ce moyen il prive déjette
Et exclud de tous ses autres biens desquels il n’a dessus disposé
Ny ordonné et en ce il les fait ses héritières universelles et singulières.
Item veut entend et ordonne et donne à ladt Antoine Cogne outre ce
Que dessus la pension et nourriture d’hone Louyse Vuichard sa
Petite fille de tout le temps qu’elle y demeure et c’est aussy à la
Charge et condition que lad. Antoine ne luy demanderat aucun
Interest des sommes qu’il luy peut devoir du restant à payer de la
Constituôn de dotte. Item veut, entend et ordonne ledt testateur
Que ces héritiers cy après nommés ne pourront point du tout procéder
A aucuns partages que deux ans après la mort de lad. Girard
Sa femme et que le premier qui voudra chercher partage aux
Autres, il leur laissera dix louys d’or. Item donne et lègue ledt
Testateur à tous autres prétendants droit dans son hoirie a
Chacun d’eux la somme de cinq sols payable un an après son décès
Et moyennant ce il les prive diette et exclud de tous ses autres
Biens desquels il n’a cy dessus disposé et ordonné et en ce il les
Fait ses héritiers universels et singuliers. Et parce que le chef

Et fondement de tous testament c’est l’instituõn héréditaire
En cette cause en tous et un châcuns ses autres biens desquels il n’a cy dessus
Disposé ny ordonné il a nommé et nomme de sa propre bouche ses héritiers universels
A scavoir hontes Guillaume, Michel, Claude, Antoine et Pierre Cogne ses très
Chers et bien aymés enfants et les leurs châcun par égale part et portionm
Les substituant de l’un à l’autre jusqu’à l’infini et par ce il veut et
Entend que ses dettes et légats soient payés et pacifiés sans figure de procès
Cassant, annulant et révoquant led. Testateur tous autres testamts qu’ il
Pourrait avoir cy devant fait, veuillant et entendant que le pñt soir le sien
Dernier testamt nuncupatif contenant sa dernière volonté nuncupative et dispoõn
Des biens qu’il a plût à Dieu de luy donner dans ce monde et veut et entend que
S’il ne vaut par testamt qu’il vaille par codicille ordonnaõn à cause de mort
Comme le testament d’un châcun peut et doit priant ledt testateur
Les témoins cy après nommés par luy connu d’eux recours et au temps
Advenir s’il est requis note le rédiger par et entend expédier doubles
Et clausules qu’ à moy seront acquises. Fait et passé à Bellossy dans la maison dudt
Testateur. Pñt Rd Mre Rolland Jacquet prêtre et vicaire du. Viry
Etienne Pierre Mery cordonnier Claude fils de Me André Dunand Jean
Fils de feu Pierre Cogne André Cartier et Claude fils dud. Feu Pierre Cogne
Tous dud. Bellossy, témoins requis.

Lettre de Maurice Noël à son oncle François Noël.