Une exposition Paul Bonifas à Genève

Pour du noir, c’est du noir! Le catalogue de l’exposition «Bonifas» de Lionel Latham propose une céramique plus qu’anthracite sur un fond résolument nocturne. Seul le nom du céramiste brille, quand le lecteur projette la brochure sous un certain angle. Il faut dire que les habitués de la galerie voient tout de suite de quoi il retourne. C’est la cinquième fois depuis 1982 (le local se trouvait alors rue Sismondi) que le spécialiste des arts décoratifs du XXe siècle montre le potier genevois (1893-1967) dans ses vitrines.

Quelle différence avec les autres présentations, Lionel Latham?
C’est la première fois que je montrerai ensemble des pièces de ses trois périodes. Paul Bonifas a commencé par tourner à Versoix entre 1914 et 1917. Son premier atelier a alors disparu dans un incendie. Il a alors eu la chance de rencontrer un fabricant de porcelaine, qui le fera venir à Paris. Leur collaboration se passera mal, mais le Genevois aura l’occasion de croiser l’équipe de «L’esprit nouveau», Le Corbusier et Amédée Ozenfant. Il s’imprégnera ainsi des lignes épurées et nues de l’architecture moderne.

Et après?
Bonifas ouvre en 1925 un nouvel espace à Ferney-Voltaire. Cette localisation lui permet de donner une production purement française, sans problèmes de douanes, avec jusqu’à vingt ouvriers sous ses ordres. Il pourra vendre dans la région, à Genève, mais aussi à Paris ou sur la Côte d’Azur. L’homme assure son quotidien avec de l’alimentaire, mais il développe parallèlement des créations de luxe avec un système de moulage et de calibrage. La chose fait de lui un «designer» avant la lettre. Elle lui permet aussi d’expérimenter. Après les noirs, il y a ainsi les blancs craquelés et des essais de tons pastel. Sa femme Alice Sordet donnera des œuvres plus colorées sous le nom de Lifas.

Comment Bonifas voit-il ses créations?
Avec une assez haute idée de lui-même. Il se veut moins potier qu’artiste. Quand il il était à Versoix, il exposait déjà ses créations à L’Oeuvre. En consultant les catalogues d’époque, on se rend compte que ses prix étaient cinq ou six fois plus élevés que ceux de ses confrères. Une différence énorme!

La chose l’a-t-elle beaucoup enrichi?
Hélas non! A Ferney, Bonifas aurait même deux fois fait faillite. Il faut dire qu’aux années d’euphorie a succédé la Crise de 1929. Il se rattrapera un peu en éditant des sculptures animalières, sur des modèles de Robert Hainard. Cela répondait à une demande en objets décoratifs venue des grands magasins parisiens. Le céramiste pourra ainsi tenir jusqu’en 1939. Il rentre alors en Suisse. C’est une période de sa vie que sa famille évoque peu. Il faut dire qu’elle coïncide avec des changements personnels. Bonifas se remarie pendant la guerre.

Quand a-t-il repris la céramique?
En 1947, l’homme a été appelé à enseigner à Seattle. Il réside dès lors aux Etats-Unis, vivant de son salaire de professeur. Durant ses moments de loisirs, Bonifas produit des pièces uniques dans son garage. Elles sont d’un genre tout nouveau pour lui. Il s’agit de grandes statues – elles mesurent jusqu’à 70 centimètres de haut – évoquant autant les arts premiers que l’archéologie. L’émigré donne aussi quelques récipients en bronze, comme il l’avait déjà fait en Europe.

Une Europe où il n’est donc pas revenu…
Une grande exposition a été prévue à Genève, dans les salles du Musée Rath. Elle n’a jamais eu lieu. L’affaire en sera restée à un livre, paru en 1957 à la Baconnière neuchâteloise, avec une préface d’Ozenfant. Il y a là de bonnes illustrations. Un certain nombre des pièces reproduites figure dans mon exposition. Bonifas connaît ensuite des ennuis de santé. Il est mort en 1967.

D’où sont issus les objets que vous présenterez en marge du «Parcours céramique», qui se tient dès le 19 septembre à Carouge?
Plus de la moitié des 45 pièces provient des Etats-Unis. Il faut dire que Bonifas était parti avec des exemplaires caractéristiques de sa production ancienne. Les trois enfants qu’il a eu d’Alice sont décédés. Je suis en contact avec sa fille américaine. Il y a là des formes inédites. Les pièces tardives ne sont pas fréquentes non plus sur le marché. Avec une double réalisation de 1961, «Madame et Monsieur», je pense proposer deux de ses ultimes pièces connues.

Pratique 

«Bonifas», galerie Lionel Latham, 22, rue de la Corraterie, Genève, du 17 septembre au 3 octobre. Vernissage le 16 septembre dès 17h. Tél. 022 310 10 77, site www.galerie-latham.ch Ouvert du mercredi au vendredi de 13h30 à 18h30, le samedi de 11h à 13h et de 14h à 17h. Petit catalogue avec un texte de Roland Blaettler. Photo (DR): Trois des pièces proposées par Lionel Latham. Elles datent du temps de Ferney-Voltaire.

Etienne Dumont

Publié dans Bilan, septembre 2015

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